Fin des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité : de quoi s’agit-il ?

Lampadaire qui s'éteint

(©David Dijoux)

Cet article retrace le déroulement de la suppression des tarifs réglementés pour les entreprises (électricité et gaz) et pour les particuliers (gaz) en France.

Rappels sur les tarifs réglementés

Les tarifs réglementés de vente (TRV) de l’électricité et du gaz en France sont des tarifs fixés par les ministères en charge de l’économie et de l’énergie, après avis de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE). Ils sont uniquement proposés par les fournisseurs historiques, principalement EDF pour l’électricité et Engie pour le gaz, mais aussi par un ensemble d’entreprises locales de distribution (ELD) implantées localement. Depuis la nationalisation d'EDF-GDF en 1946 et jusqu’à l’ouverture des marchés à la concurrence dans les années 2000, seuls ces tarifs existaient.

Jusqu’en juillet 2007, les ménages français consommant du gaz naturel ou de l’électricité étaient tous soumis aux tarifs réglementés de vente fixés par les pouvoirs publics. Depuis la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité au niveau européen, tout consommateur, particulier ou professionnel, peut depuis choisir une offre dite de « marché » auprès du fournisseur de son choix, historique ou alternatif.

La concurrence entre les fournisseurs historiques et nouveaux entrants doit être libre et non faussée. Or, la Commission européenne a considéré que les TRV, parfois inférieurs aux prix de marché, pouvaient constituer une forme cachée d’aide d’État privilégiant les acteurs historiques. La France s’est donc engagée à mettre fin à ces tarifs pour les professionnels dans la loi Nome de décembre 2010 et la loi Hamon de consommation du 17 mars 2014.

Dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie, et afin de mettre la France en conformité avec la législation européenne, les TRV pour les professionnels ont fait l’objet d’une suppression progressive échelonnée entre juin 2014 et janvier 2016 pour les gros consommateurs (pour la plupart professionnels). Elle a été suivie d'une suppression du tarif réglementé du gaz pour les particuliers en 2023.

Ces derniers ont dû souscrire une offre de marché, soit en conservant leur fournisseur historique, soit auprès d’un fournisseur alternatif.

Calendrier de la fin des TRV en France :

  • 19 juin 2014 : Entreprises consommant plus de 100 000 MWh de gaz par an.
  • 1ᵉʳ janvier 2015 : Consommateurs non domestiques (supermarchés, écoles, maisons de retraite, bureaux, etc.) et immeubles d'habitations consommant plus de 200 MWh de gaz par an.
  • 1ᵉʳ janvier 2016 : 
    • Consommateurs professionnels consommant plus de 30 MWh de gaz par an et Immeubles d'habitations consommant entre 150 et 200 MWh de gaz par an.
    • Consommateurs ayant un contrat dont la puissance souscrite d'électricité est supérieure à 36 kVA (tarifs jaunes et verts).
  • 1ᵉʳ juillet 2023 : Consommateurs de gaz particuliers et le reste des professionnels et immeubles d'habitations

Pour l'heure, les tarifs réglementés de l'électricité demeurent pour les particuliers et les petits professionnels disposant d'un compteur de puissance inférieure ou égale à 36 kVA.

Suppression des tarifs réglementés du gaz pour les particuliers

L’Anode (Association nationale des opérateurs détaillants en énergie), qui réunit une partie de ces fournisseurs alternatifs, s’était opposée au maintien des tarifs réglementés et avait saisi le Conseil d’État en juillet 2013 pour annuler un décret du 16 mai 2013 encadrant les modalités de fixation des tarifs réglementés du gaz.

Le rapporteur public du Conseil d'État lui a donné raison en estimant en juillet 2017 que les tarifs réglementés appliqués par Engie (ex-GDF Suez) à plus de 5 millions de foyers raccordés au gaz étaient contraires au droit européen.

Le Conseil d’État a annulé le décret de mai 2013 en invoquant le fait que le maintien des tarifs réglementés du gaz était « contraire au droit de l’Union européenne ». Il suit ainsi les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne qui avait considéré en septembre 2016 que le maintien de ces tarifs réglementés ne pouvait se justifier que s’ils répondaient entre autres à « un objectif d’intérêt économique général ». Mais aussi qu’ils ne portent atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif d'intérêt économique général et notamment durant une période limitée dans le temps et, enfin, qu’ils soit clairement définis, transparents, non discriminatoires et contrôlables.

Le Conseil d’État a jugé que le maintien desdits tarifs réglementés constituait « une entrave à la réalisation d’un marché du gaz naturel concurrentiel » sans poursuivre un objectif d’intérêt économique général.

Les fournisseurs historiques de gaz naturel ne pouvaient plus commercialiser de nouveaux contrats au tarif réglementé depuis le 8 décembre 2019

La disparition des tarifs réglementés de vente du gaz a été actée pour les particuliers et les copropriétés par l'article 63 de la loi énergie-climat promulguée le 8 novembre 2019.(1) Les consommateurs encore soumis au tarif réglementé pour leur fourniture de gaz, à savoir des clients « résidentiels » (particuliers), les syndicats de copropriétés et les « propriétaires uniques d’immeuble à usage unique d’habitation dont la consommation annuelle est inférieure à 150 MWh », ont dû opter pour une offre de marché avant le 1er juillet 2023 (auprès d’un fournisseur alternatif ou de leur fournisseur historique).

Or fin juin 2023, les pouvoirs publics indiquaient encore que « 2,6 millions de foyers (étaient) toujours abonnés au tarif réglementé du fournisseur historique Engie ». Les ménages encore soumis au TRV étaient invités à souscrire une offre de marché avant fin juin 2023 auprès du fournisseur de leur choix.  Tous ceux n'ayant pas opté pour une offre de marché avant la date butoir ont automatiquement été basculés vers une offre transitoire (dite « Passerelle » chez les clients d'Engie). Une offre « avec un prix du gaz indexé sur les marchés de l’énergie [...] l’indexation tient compte de l’indice de référence défini par la Commission de régulation de l’énergie. Le prix du kilowattheure, hors toutes taxes, varie tous les mois suivant cet indice », précise Engie.

Pour accompagner les ménages dans leur choix d'une nouvelle offre de fourniture de gaz, la CRE a mis en place un « prix de référence »  : ce prix « repère » est publié à titre indicatif mensuellement et est décomposé en un prix d'abonnement et un prix du kilowattheure (kWh)(2) avec « pour objet de servir de boussole aux consommateurs qui souhaitent comparer les offres de fourniture ».

Parmi les différentes offres de marché de fourniture de gaz, rappelons qu'on peut différencier :

  • les offres de marché à prix fixe qui, comme leur nom l'indique, proposent un prix figé par contrat pendant une durée déterminée pouvant aller de 1 à 3 ans (sans contrainte d'engagement, il reste donc possible pour le consommateur de changer d’offre ou de fournisseur à tout moment et sans frais) ; 
  • les offres de marché avec indexation (par exemple sur les marchés de gros de gaz naturel ou sur le « prix repère » de la CRE). Ces offres présentent des risques car leur prix fluctue fortement en fonction de l'offre et de la demande, de la saisonnalité et du contexte géopolitique.

Ces tarifs coexistent depuis dix ans avec des offres de marché, proposées par les deux anciens monopoles et de nombreux fournisseurs alternatifs.

Suppression des tarifs réglementés du gaz pour les professionnels

Dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie, et afin de mettre la France en conformité avec la législation européenne, une loi organisant la disparition progressive des tarifs réglementés pratiqués par les anciens monopoles - Engie pour le gaz, EDF pour l'électricité - pour les clients non résidentiels a été votée.

Pour le gaz, après une première étape le 19 juin 2014, qui ne concernait que quelque 1 000 très gros consommateurs, ces tarifs ont disparu depuis le 1er janvier pour toutes les entreprises, les établissements publics et les syndicats de copropriété dont le niveau de consommation dépasse 200 mégawattheures par an, avec une offre de transition jusqu'au 30 juin, qui a donc été prolongée jusqu'au 30 septembre pour dix-mille retardataires, moyennant un prix de vente majoré de 20% afin de les inciter à migrer vers les offres de marché.

Et le 1er janvier 2016, ce sont tous les clients non résidentiels dont la consommation excède 30 MWh par an (ou plus de 150 MWh pour les copropriétés), soit environ 60 000 sites (petits artisans, petits commerces, etc), qui ont dû avoir souscrit à une offre de marché. 

La fin des tarifs réglementés de l'électricité pour les entreprises

Au 1er janvier 2016, les tarifs réglementés de vente de l’électricité ont disparu pour les plus gros consommateurs non-résidentiels, dont la puissance souscrite est supérieure à 36 kVA.

Furent concernés 400 000 sites :

  • les tarifs dits « verts » pour les plus grands sites qui consomment fréquemment plus de 1 GWh par an (usines, hôpitaux, hypermarchés, etc.) ;
  • les tarifs dits « jaunes » pour les sites « moyens » dont la consommation électrique annuelle est généralement comprise entre 150 MWh et 1 GWh (locaux de PME, de collectivités locales, etc.). 

Ces consommateurs sont dû demander des devis pour souscrire à une offre.

Au 30 juin 2015, seuls 26% des grands sites consommateurs et 11% des sites moyens avaient effectué les démarches, provoquant un goulot d’étranglement à l’approche de la date butoir. Pour les consommateurs concernés n’ayant pas choisi une offre de marché au 1er janvier 2016, une offre transitoire avait été automatiquement mise en place pour une durée de 6 mois non reconductible.

Quid de l'électricité ?

Concernant l'électricité, la directive européenne permet de maintenir des tarifs réglementés pour les ménages et les microentreprises. Dans sa décision concernant les TRV du gaz, le Conseil d'État les avait clairement distingués.

"L'électricité étant à la fois un besoin essentiel pour les gens - alors que le gaz ne l'est pas - et n'étant pas substituable" faisait valoir le patron d'EDF de l'éqoque Jean-Bernard Lévy, qui commercialise l'électricité au tarif réglementé, dit "bleu".

Le Conseil d'Etat avait en effet dit dans sa décision que le gaz, auquel d'autres sources d'énergie sont substituables, "ne constitue pas un bien de première nécessité" contrairement à l'électricité. On peut par exemple choisir d'abandonner le gaz pour se chauffer ou cuisiner à l'électricité alors que seule cette dernière peut faire fonctionner de nombreux appareils du quotidien.

Les concurrents d'EDF estiment eux que la décision du Conseil d'Etat sur le gaz ouvre la voie à une interprétation similaire sur les tarifs réglementés de l'électricité. La suppression des tarifs réglementés de gaz "doit être faite en parallèle pour les tarifs réglementés de l'électricité", avait ainsi défendu Isabelle Kocher, alors directrice générale d'Engie, qui commercialise également de l'électricité en France.

"Nous sommes déjà très dynamiques dans nos développements dans l'électricité, en particulier en France, et bien sûr, la fin des tarifs réglementés ouvrirait une avenue pour nous pour développer nos offres", a-t-elle déclaré.

Pourquoi les tarifs réglementés étaient appréciés et défendus ?

Le tarif réglementé constitue un prix plafond impossible à dépasser pour les offres de marché et un référentiel pour les consommateurs.

Il est aussi une référence concrète d'indexation de nombreuses offres de marché.

La crise a mis en exergue une qualité nouvelle des tarifs réglementés de vente, en électricité et en gaz, qui est tout simplement celle de la sécurité contractuelle. La crise a aussi illustré le fait qu'un tarif peut à tout moment être modifié d'une manière radicale.

Le Médiateur national de l'énergie souhaite le maintien des tarifs réglementés, défendant leur rôle de "bouclier" pour les consommateurs, mais estime que tous les fournisseurs devraient pouvoir les proposer.

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