La vérité sur la « dette écologique » : les conditions d'un changement réel

Christian de Perthuis

Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL

Fondateur de la Chaire Économie du Climat

Lors de la passation de pouvoir à Matignon, Michel Barnier a promis de dire la vérité aux Français sur la « dette financière et la dette écologique ».

Le casse-tête de la dette financière est bien documenté.  La loi de finance initiale promettait de ramener le déficit public à 4,4% du PIB en 2024 ; on se dirige vers 5,6% d’après les dernières estimations de Bercy. Avec une dette publique dépassant 110 % du PIB et des taux d’intérêt réels positifs, le nouveau Premier ministre hérite d’une trajectoire insoutenable. Son premier examen de passage sera le débat budgétaire au Parlement.

Qu’en est-il de la dette la dette écologique ? Examinons de plus près sa composante climatique.

La mesure de la dette climatique

L’expression « dette climatique » désigne le leg que les générations présentes transmettront à celles qui leurs succéderont. Elle traduit le fait que le climat que connaîtront nos descendants sera tributaire des choix que nous faisons aujourd’hui en matière d’émission de gaz à effet de serre.

Chaque tonne supplémentaire de CO2 (ou d’une quantité équivalente d’un autre gaz à effet de serre) rejetée dans l’atmosphère accroît le stock atmosphérique et creuse la dette à l’égard des générations futures. A contrario, chaque tonne retirée de l’atmosphère la diminue. 

Si on estime à 100 euros le coût des dommages engendrés par le rejet d’une tonne supplémentaire de CO2 dans l’atmosphère, le rythme d’accroissement annuel de la dette climatique est passé de 50 milliards d’euros en 2005 à un peu moins de 38 milliards.

Pour évaluer notre dette, il convient par conséquent d’observer la trajectoire de nos émissions et absorption de gaz à effet de serre. Tant que les émissions brutes dépassent les absorptions, la dette s’accroît. Lorsque les deux termes s’égalisent, on atteint la situation dite « net zéro » ou de « neutralité » qui permet de stabiliser la dette. Si les émissions brutes deviennent inférieures aux absorptions, la dette diminue.

Stationnaires entre 1990 et 2005, nos émissions brutes de gaz à effet de serre ont diminué de 32% entre 2005 et 2023. Simultanément, la capacité d’absorption du CO2 a été divisée par près de trois car les forêts séquestrent moins de carbone sous l’effet du changement climatique. Les émissions nettes de gaz à effet de serre n’ont ainsi reculé que de 29%.

Notre dette climatique continue donc d’augmenter, mais à un rythme qui ralentit : en 2023, les émissions nettes de la France ont atteint 350 Mt de CO2eq contre 500 Mt en 2005. Les économistes aiment bien traduire les grandeurs physiques en monnaie sonnante et trébuchante. Si on estime à 100 euros le coût des dommages engendrés par le rejet d’une tonne supplémentaire de CO2 dans l’atmosphère, le rythme d’accroissement annuel de la dette climatique est passé de 50 milliards d’euros en 2005 à un peu moins de 38 milliards.

Sommes-nous pour autant sur la bonne trajectoire ?

Une trajectoire non soutenable

À l’instar de l’Union européenne (UE), la France s’est engagée à stabiliser sa dette climatique (objectif « net zéro » émission ou de « neutralité ») en 2050. Pour y parvenir, l’UE a fixé un objectif intermédiaire d’une réduction de 55% des émissions nettes de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030. C’est par rapport à cet objectif intermédiaire qu’il convient de jauger la soutenabilité de notre trajectoire d’émission.

Pour la France, l’objectif de - 55% implique de ramener les émissions brutes de gaz à effet de serre à un peu moins de 270 Mt en 2030. Si on reste sur la tendance observée depuis 2005 (- 2% l’an), on atteindra 325 Mt, soit 55 Mt en trop. Pour atteindre l’objectif, il faudra un peu plus que doubler le rythme annuel de baisse sur les 7 ans qui nous séparent de 2030 (graphique).

Pour l’absorption du CO2 atmosphérique, ce n’est pas le tempo qui est insuffisant, mais la direction qui est mauvaise. Pour respecter l’engagement de – 55%, la France devra absorber 34 Mt de CO2 atmosphérique en 2030. En 2005, les puits de carbone absorbaient un peu plus de 50 Mt de CO2 retirés de l’atmosphère. Depuis 2019, ils n’en absorbent plus qu’une vingtaine car la croissance des arbres qui permet de séquestrer le carbone s’affaiblit sous l’impact du réchauffement climatique. Sans un changement de direction, on n’atteindra pas l’objectif de séquestration requis.

Les trajectoires d’émission et d’absorption dont hérite la nouvelle équipe gouvernementale ne sont pas compatibles avec les engagements pris.

Les tendances passées ne présagent certes pas automatiquement du futur. Mais le constat est là. Les trajectoires d’émission et d’absorption dont hérite la nouvelle équipe gouvernementale ne sont pas compatibles avec les engagements pris. Les mesures correctrices permettant un changement de trajectoire n’ont pas été prises. Au-delà de la paralysie des derniers mois, l’exécutif a fait preuve d’une grande inconstance depuis deux ans. Il a notamment renoncé à présenter au Parlement la loi de programmation énergie climat, initialement prévue pour juillet 2023. Au total, la dette climatique évoquée par Michel Barnier n’est pas plus soutenable que la dette publique. À quelles conditions pourra-t-on retrouver le contrôle ?

Les conditions d’un changement de trajectoire 

La première condition sera de saisir le Parlement, afin de faire adopter la loi de programmation en attente dont l’objet est d’encadrer les feuilles de route énergétique et climatique à moyen terme. Pour débattre, les députés et sénateurs pourront avoir accès à une masse d’informations de qualité réunie par l’instance de planification écologique rattachée au Premier ministre. Je vois trois questions clefs risquant de polariser les débats qui devront néanmoins être discutées et tranchées.

Depuis la fronde des gilets jaunes, la question de la fiscalité carbone et des subventions aux énergies fossiles est taboue, le dispositif fiscal étant comme paralysé. Cette situation n’est cependant pas tenable avec l’élargissement du système européen des quotas de CO2 qui va renchérir à partir de 2027 l’usage des énergies fossiles dans les transports terrestres, les bâtiments et les petites entreprises. Cet élargissement requiert une transposition dans le droit national dans les deux ans qui viennent. Cela va contraindre l’exécutif et la représentation nationale à remettre sur la table l’épineuse question de la fiscalité et du prix de l’énergie.

Autre question qui fâche : les moyens à allouer aux renouvelables et au nucléaire. Les obstacles au déploiement du renouvelable sont loin d’avoir été levés par la loi dite « d’accélération », ce qui laisse poindre un risque de déficit en électricité décarboné d’ici 2035. Ce risque ne pourra pas être réduit par le nucléaire. Il pourrait même être accru si les milliards du nouveau nucléaire réduisent ceux nécessaires pour les renouvelables. Il y a donc urgence à débattre du rôle du nucléaire dans la transition énergétique qui ne peut être ni l’abandon rapide prôné par certains, ni la solution miracle fantasmée par d’autres.

L’affaiblissement du puits de carbone forestier est un signal d’alerte majeur. Il s’agit d’une rétroaction climatique qui amoindrit la capacité de stockage des forêts malgré l’élargissement de leur superficie. Les réponses consistent à adapter les massifs aux conditions climatiques de demain qui seront plus éprouvantes qu’aujourd’hui. C’est aussi le cas de l’agriculture pour laquelle le précédent gouvernement a opéré un recul en règle en matière d’ambition environnementale. Il sera impossible de reprendre le contrôle de la dette climatique sans des politiques bien plus volontaristes pour accroître la résilience des systèmes agricoles et forestiers en généralisant des pratiques qui permettent également de réduire leur empreinte climatique.

Compte tenu de la composition de l’Assemblée nationale, réussir à débattre de ces questions et à trouver les nécessaires compromis pour relancer l’action climatique semble une gageure. Il n’y a pourtant guère d’autres voies permettant de reprendre la main sur l’accroissement de la dette climatique. Souhaitons donc que les déclarations du Premier ministre sur la dette écologique n’aient pas été qu’un effet oratoire et soient suivies d’un changement de cap en la matière.

Discours de Michel Barnier lors de la passation de pouvoir avec Gabriel Attal le 5 septembre 2024

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Commentaire

jean-Loup Bertaux
Excellente présentation de la “dette climatique” en Europe. Pour ma part, je plaide pour l’installation massive de panneaux solaires photovoltaiques (PV) en France, même en rasant quelques forêts qui absorbent seulement 2 tonnes de CO2 par an, ou des vignes en surnombre et surcapacité de production de vin. Pour cela, il faudrait par la loi exempter les champs de PV (soit centrales, soit individuelles gérées par des agriculteurs) de la Loi Climat et Résilience qui impose Zero Artificialisation Nette en 2050 (loi que j’approuve totalement par ailleurs, qui limite la consommation des ENAF, Espaces naturels, agricoles et Forestiers). Ma préférence pour le PV sur l’éolienne (en gardant et développant le nucléaire par ailleurs) est fondée sur la simplicité technique des PV, la maintenance simplifiée, la facilité de démontage si nécessaire, la résilience aux accidents naturels ou humains. L’énergie produite par un hectare de PV suffit pour capter plus de 100 tonnes de CO2 par an dans l’atmosphère, avec des machines dédiées (Climework), toutefois à un coût encore élevé . Ne pas confondre toutefois avec l’autre “dette climatique “ des pays riches qui ont produit le CO2 accumulé, et dont tout le monde va souffrir, y compris les pays pauvres qui ont très peu contribué aux émissions cumulées. Cette “dette” fait l’objet d’un “remboursement” décidé à la COP21 en 2015 de 100 milliards par an, effectivement payée en bonne partie, mais pas totalement. Je plaide pour qu’une partie de ces 100 milliards promis lors de la COP21 soit orientée vers le soutien à la volonté des 17 pays africains de maîtriser leur fécondité lors de la déclaration de Ouagadougou (2017), ainsi qu’aux autres pays qui le demanderaient. Combien ça coûterait ? L’ONG Guttmacher, en pointe aux USA pour la défense du droit des femmes à maîtriser leur fécondité, donne une réponse : « … si les 218 millions de femmes ayant un besoin non satisfait de contraception moderne recevaient des soins et si les services étaient globalement améliorés, le coût total des services de contraception passerait de 7,1 milliards de dollars à 12,6 milliards de dollars par an. L'augmentation des dépenses permettrait de réduire de 76 millions le nombre de grossesses non désirées et de 21 millions le nombre de naissances non planifiées dans les pays en développement. » 5,5 milliards de plus par an seulement ! Que ne le fait-on pas?
LOMBLED
Ca va pas bien la tête ? Vous êtes bien content de faire partie des nantis de cette planète et vous êtes prêt à abandonner la moitié de votre salaire pour que l'on puisse mettre des PV partout pour satisfaire votre délire écolo. Quand à l'Afrique elle nous coûte déjà assez cher pour en rajouter une couche. Seule point sur lequel je suis d'accord avec vous la fécondité de l'afrique qui doit être métrisée. Mais le problème c'est que nous n'avons aucun pouvoir de décision dans ce continent.
Abadie
Article très intéressant mais qui à mon sens fait l'impasse sur d'autres puits carbone autre que la forêt, je pense aux océans qui en réalité absorbent la plus grande oartie du CO2. Enfin, il ne fait pas etat du CO2 sur le continent européen, car la solution ne peut pas etre uniquement nationale, quelles sont les emissions de nos voisins, car ne pas atteindre un objectif est préjudiciable mais tout depend du point de départ. Enfin, habitant la Provence, region où il pleut peu et fait très, très chaud l'été, sa forêt essentiellement constituée de pins, arbre qui pousse très vite et n'importe où, n'est pas touché par le réchauffement climatique, mais peut-être est-ce un cas particulier à notre region.

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