
Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
Dans le World Energy Outlook 2025 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) rendu public ce 12 novembre(1), le « Current Policies Scenario » (CPS), tombé en disgrâce en 2019, refait surface. Ce scénario suppose la pleine application des « politiques et régulations déjà en place ». C’est un scénario de triomphe de l’Amérique trumpienne : le pétrole et le gaz dominent encore le système énergétique en 2050 ; les émissions de CO2 diminuent à peine d’ici 2050 ; la température mondiale n’est pas stabilisée avant la fin du siècle.

L’une des erreurs les plus communes des prospectivistes est de trop se laisser influencer par les événements récents. C’est le piège dans lequel est tombée l’AIE en donnant l’impression que le scénario de référence est désormais celui d’une impossible sortie des énergies fossiles alors que le scénario net zéro émission semble remisé à l’étagère des occasions perdues, au même titre que celui éradiquant la pauvreté énergétique dans le monde.
C’est un changement de point de vue troublant qui reflète plus les errements récents des politiques énergétiques qu’un futur crédible du système énergétique mondial.
Deux scénarios de référence
Deux scénarios de référence figurent désormais dans les perspectives énergétiques : le CPS et le « Stated Policies Scenario » (STEPS), au contour plus évasif, regroupant « une panoplie plus large de politiques, y compris celles qui ont été formellement proposées mais pas encore adoptées ». Les deux scénarios anticipent l’un et l’autre une croissance forte de la demande d’énergie, mais diffèrent sur la façon dont elle sera couverte par les différentes sources d’énergie :
- Dans les deux scénarios, l’usage du charbon recule, principalement en raison du changement de cap de la Chine qui en utilise de moins en moins pour produire de l’électricité. Dans le scénario CPS, le charbon reste une source plus importante pour la génération d'électricité, qui constitue le principal facteur de différenciation des deux scénarios.
- Le profil de la courbe de consommation de pétrole dépend en premier lieu de ce qu’il va se passer en matière de transports routiers. La consommation de pétrole diminue dans le scénario STEPS car une fraction de ces transports bascule vers la traction électrique. A contrario, la non-électrification des transports routiers est le principal facteur d’augmentation de la demande de pétrole dans le scénario CPS.
- La demande de gaz naturel dans ce dernier scénario est portée par la demande de chaleur pour produire de l’électricité et dans une moindre mesure pour les usages industriels et le chauffage des bâtiments. Dans le scénario STEPS, cette demande continue d’augmenter jusqu’en 2035, pour ne baisser que modérément jusqu’en 2050.

Traduites en émissions de CO2, ces hypothèses conduisent à des trajectoires supérieures à celles projetées l’an passée, qui nous éloignent de l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris (voir graphique de haut de page). Par ailleurs, la traduction de ces scénarios sur les émissions de méthane ne figure pas dans le document publié.
Le futur des énergies fossiles vu par l’AIE et les autres
Avec ses deux scénarios de base, le futur énergétique vu par l’AIE rejoint désormais celui anticipé par les grands acteurs du monde pétrogazier.
Le scénario poursuite des politiques actuelles (CPS) anticipe une demande mondiale de pétrole en 2050 supérieure à celle projetée par les grandes compagnies pétrolières. Elle n’est dépassée que dans les scénarios de l’OPEP et de l’agence gouvernementale des États-Unis. Quant à la demande de gaz, elle n’est dépassée que par celle anticipée par l’OPEP.
Plus surprenant, le scénario STEPS anticipe certes un reflux modéré des consommations de pétrole et de gaz d’ici 2050. Mais il projette en 2050 des consommations de pétrole et de gaz supérieures à celles publiées par les compagnies pétrolières européennes (à l’exception de BP pour le gaz).

Un tel réalignement des perspectives de l’AIE est assez troublant. Il semble peu réaliste d’imaginer un futur énergétique à 25 ans autant impacté par les décisions prises ces dix derniers mois par l’administration trumpienne.
Sources / Notes
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