Professeur émérite à l’Université de Montpellier
Fondateur du CREDEN
Auteur de l’ouvrage « Les prix de l’électricité. Marchés et régulation », Presses des Mines
Le ministre de l’économie a récemment déclaré que le prix de l’électricité devrait baisser de 10 à 15% en février 2025. C’est probable encore qu’il faille être prudent car nous ne connaissons pas encore tous les éléments qui permettront à la Commission de Régulation de l’Énergie de proposer au 1er février 2025 le nouveau tarif réglementé de vente (TRV).
Mais une remontée du prix est possible en 2026 du fait de l’arrivée à échéance au 31 décembre 2025 du système de l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique), ce qui tend à relancer le débat sur l’adoption d’un nouveau mécanisme de régulation des prix de l’électricité.
Une baisse probable du TRV en février 2025
Le TRV est aujourd’hui le tarif dont bénéficient 20,1 millions de clients résidentiels et 1,57 million de petits professionnels en France. Ce tarif est arrêté par le ministre de l’Économie au 1er février chaque année, sur proposition de la CRE(1) (en général le ministre suit l’avis de la CRE mais il peut demander à la CRE de revoir sa copie).
Ce TRV se décompose en trois éléments : le coût de fourniture (qui, en 2024, représente encore 55,2% du TRV), le coût des réseaux (péages d’accès au réseau de transport de RTE et au réseau de distribution d’Enedis ; le TURPE, pour tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, est fixé par la CRE sur la base d’un « cost+ »(2)) qui représente 20,6% du TRV et les taxes qui comptent pour 24,2% du TRV.
Avant la crise de 2022, chaque élément représentait environ un tiers du total. Le poids du coût de fourniture tend à baisser au fur et à mesure que les prix de gros diminuent (et que les taxes augmentent) et il devrait continuer à décroître en 2025 au vu des prix actuellement anticipés.
Au 1er février 2025, la principale taxe (une accise dénommée TICFE pour taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité) devrait passer de 21 euros/MWh à 32 euros/MWh suite à la fin du bouclier tarifaire qui avait vu son niveau quasiment fixé à zéro(3). Le TURPE devrait quant à lui être revalorisé au 1er août 2024 mais la hausse ne devrait pas dépasser 2%.
Un tableau simplifié résume la structure du TRV en vigueur au 1er semestre 2024 (calculs, un peu arrondis, de l’auteur sur la base de données CRE).
Postes | Montant en euros par MWh |
Coût de l’énergie (y compris coût de capacité) | 130,4 |
Coût de commercialisation | 18,3 |
Marge et rattrapage | 4,6 |
Coût de fourniture | 153,3 |
TURPE | 57,2 |
Total HT | 210,5 |
TICFE | 21,0 |
TVA | 46,2 |
Total TTC | 277,7 (soit 27,7 centimes d’euro par kWh) |
Si l’on suppose que le niveau du TURPE reste inchangé (après la hausse prévue en août 2024) et que la TICFE passe de 21 à 32 euros par MWh, quelle est la valeur du coût de l’énergie qui permettrait d’obtenir une baisse de 10 à 15% du niveau du TRV en février prochain (on raisonne toutes choses égales par ailleurs) ?
Il faut pour cela comprendre que le coût de fourniture dépend de deux variables stratégiques :
1) le taux d’écrêtement de l’ARENH(4) qui va influencer le partage de ce coût de fourniture entre ARENH et complément marché, d’une part ;
2) l’évolution du prix du MWh sur le marché de gros, sur les 24 derniers mois précédant le calcul, d’autre part (avec prise en compte des prix à terme de l’année suivante observés sur les 3 derniers mois de l’année en cours donc fin 2024).
Le principe dit de contestabilité, qui impose que le TRV soit duplicable par les fournisseurs alternatifs dans leurs offres de marché (condition imposée par la concurrence) conduit à ce que la part de l’ARENH dans le TRV soit la même que celle dans les offres de marché des concurrents d’EDF.
Cela va dépendre de deux paramètres : la part des droits ARENH, d’une part, le taux d’écrêtement de l’ARENH, d’autre part. Les droits ARENH des alternatifs sont en 2024 de 58,85% de la consommation d’électricité prévisible en base de leurs clients (le coefficient de bouclage(5), qui détermine ces droits, a été revu à la baisse pour 2024 : 0,844 contre 0,964 en 2023). Cela signifie que les alternatifs n’ont droit en théorie qu’à 58,85% d’ARENH dont le prix est inchangé depuis le 1er janvier 2012 (42 €/MWh).
Mais comme la demande d’ARENH a été de 130,4 TWh pour 2024, donc supérieure au plafond de 100 TWh prévu par la loi, il a fallu réduire les prétentions de ces alternatifs et procéder à un écrêtement des droits ARENH (taux d’écrêtement de 23,32%). Les alternatifs n’ont eu droit in fine qu’à 76,68% de leurs demandes, soit 45,1% d’ARENH (58,85% x 76,68% = 45%). Ce chiffre est, par effet miroir, celui retenu dans le TRV. Du même coup le complément marché des offres des alternatifs et celui du TRV sont fixés à 55%.
Le calcul du complément marché se fait sur la base d’une moyenne des prix de gros au cours des 24 derniers mois (tout en tenant compte des prix à terme observés durant les trois derniers mois de l’année : 2/3 pour les 24 mois précédents et 1/3 pour les prix à terme observés durant les 3 derniers mois). Un calcul simple montre que le prix de gros de référence est de l’ordre de 202,7 € par MWh dans le calcul du TRV de 2024 (0,45 x 42 + 0,55 x 202,7 = 130,4).
Les calculs pour 2024 ont tenu compte des prix de gros très élevés observés en 2022. Pour 2025, on ne tiendra compte que des prix de gros observés en 2023 et 2024 lesquels ont fortement chuté par rapport à 2022, surtout en 2024 (on est en juin 2024 aux alentours de 50 à 70 €/MWh sur le spot et les prix à terme pour 2025 se négocient actuellement aux alentours de 70 €/MWh).
Si l’on fait l’hypothèse que la TICFE sera fixée, en 2025, à 32 €/MWh et que la moyenne des prix de gros sur les 24 mois précédant le calcul sera de l’ordre de 110 ou 120 €/MWh (contre 202,7 €/MWh retenu pour 2024), y compris le prix de la capacité, on trouve que, toutes choses égales par ailleurs (notamment avec l’hypothèse d’un taux d’écrêtement inchangé et d’un TURPE inchangé), le niveau du TRV pourrait être de l’ordre de 236,4 €/MWh en février 2025 soit une baisse de 15% par rapport à 2024. C’est a fortiori vrai si la moyenne des prix de gros se situe en deçà de 110 €/MWh, ce qui est probable.
Annoncer une baisse probable de 10 à 15% en février 2025 est donc tout à fait raisonnable. Encore faut-il que les prix de gros ne s’envolent pas d’ici la fin de l’année 2024. Des incertitudes demeurent donc, mais les prix à terme sont plutôt orientés à la baisse actuellement : le CAL-25 est à 69,41 €/MWh, le CAL-26 à 60,16 €/MWh et le CAL-27 à 57,50 €/MWh. La volatilité et l’envolée observées en 2022 incitent toutefois à la prudence.
Un prix de l’électricité en hausse en 2026 ?
Les choses sont plus incertaines pour 2026 avec la fin de l’ARENH prévue en décembre 2025. Le coût de fourniture devrait être calculé sur la base des seuls prix de gros, pour le TRV comme pour les offres de marché des fournisseurs alternatifs.
La réforme adoptée fin 2023 par les ministres européens de l’énergie autorise toutefois les États à instaurer des garde-fous en recourant à des CfDs et à des PPAs dans le but de limiter l’impact de la volatilité des prix de gros.
Les CfDs (Contracts for Différences) sont des contrats de droit public qui prévoient un prix-plancher et un prix-plafond pour le prix de gros (l’État prélevant la rente au-delà d’un certain seuil et attribuant des subventions en deçà d’un autre seuil). Les PPA (Power Purchase Agreements), sont des contrats de droit privé signés de gré à gré entre les producteurs et les fournisseurs ou entre les producteurs et les gros consommateurs d’électricité.
Le consommateur ne paie pas aujourd’hui le juste prix du nucléaire historique.
L’accord intervenu fin 2023 entre EDF et le gouvernement prévoit une sorte de CfD avec un prix-plafond (en fait un double prix-plafond) mais sans prix-plancher et incite EDF à signer des PPAs avec ses clients. Le consommateur a la garantie qu’au-delà de 78 €/MWh, une partie de la rente (50%) sera prélevée par l’État et lui sera rétrocédée l’année suivante ; si le prix de gros dépasse 110 €/MWh, le prélèvement sera de 90% et le consommateur ne supportera que 10% du prix au-delà de cette limite.
Des simulations montrent que le système sera moins favorable pour lui que le mécanisme de l’ARENH, du moins en cas de prix de gros plus élevés que les prix actuels. On ne pourra plus compter sur le facteur de stabilité que constituait une part importante d’ARENH dans le coût de fourniture.
Rappelons que l’ARENH à 42 €/MWh ne couvre pas le coût du nucléaire historique tel que calculé par la CRE (qui le situe à plus de 60 €/MWh). Le consommateur ne paie donc pas aujourd’hui le juste prix du nucléaire historique.
Le tableau ci-après permet de calculer ce que serait le prix de gros réellement supporté par le consommateur dans les divers cas de figure en 2026 (avant un premier plafond à 78 €/MWh puis au-delà des deux plafonds retenus par l’accord État-EDF soit 78 et 110 €/MWh).