
Cofondateur et COO de WattAnyWhere
Alors que la directive européenne RED III fixe un nouveau cap pour la décarbonation des transports, la France prépare sa propre déclinaison à travers le programme IRICC (Incitation à la Réduction de l’Intensité Carbone des Carburants)(1). Pour les professionnels du transport, cette évolution représente à la fois une opportunité et un défi : structurer des solutions bas carbone adaptées aux réalités du terrain, tout en anticipant un cadre réglementaire encore en construction. Dans ce contexte, il semble essentiel d’ouvrir la réflexion à l’ensemble des leviers disponibles, afin de garantir l’efficacité et l’équité des dispositifs à venir.
Un tournant réglementaire décisif pour l’industrie et le transport
La directive RED III(2), adoptée en 2023, impose aux États membres de l’UE une accélération inédite de la décarbonation, en particulier dans les secteurs fortement émetteurs comme le transport. Elle fixe deux objectifs majeurs à atteindre d’ici 2030 :
- soit porter la part d’énergie renouvelable à 29 % de la consommation finale du secteur ;
- soit réduire de 14,5 % l’intensité carbone de l’énergie utilisée.
Pour les biocarburants avancés et carburants renouvelables d’origine non biologique (RFNBOs), une trajectoire spécifique est prévue : 1 % en 2025, puis 5,5 % en 2030 (proportion de Biocarburants et RFNBO dans tous les carburants du transport). À chaque État de choisir sa méthode pour y parvenir.
En France, cette déclinaison prend la forme du programme IRICC, actuellement en phase de concertation. L’ambition est claire : structurer un système d’incitation fondé sur les réductions d’émissions effectives, en s’appuyant sur des crédits carbone attribués selon des formules précises. Mais pour les acteurs industriels, beaucoup d’inconnues demeurent. Quels carburants seront valorisés ? Quelles technologies seront éligibles ? Comment seront comptabilisées les émissions évitées ? Et l’absence de visibilité rend difficile l’alignement des investissements avec les futures règles du jeu.
Ne pas reproduire les biais du passé : élargir le périmètre des solutions reconnues
Les dispositifs d’incitation existants, comme la TIRUERT (Taxe Incitative Relative à l’Utilisation de l'Énergie Renouvelable dans les Transports) par exemple, ont souvent privilégié les solutions électriques. Ce cadre, hérité d’une vision technologique dominante, ne couvre pas tous les besoins. Certaines situations de terrain (concessions à échéance courte, zones sans accès au réseau ou sites mobiles…) exigent des alternatives plus souples, capables de produire localement une énergie décarbonée sans dépendre d’une infrastructure centralisée.
C’est pourquoi, des technologies comme les générateurs hors réseau alimentés à l’éthanol renouvelable répondent à ces contraintes. Leur mise en œuvre est rapide, leur bilan carbone favorable, et leur modèle adaptable à différents contextes. Pourtant, tant que les critères d’éligibilité aux futurs mécanismes restent flous, ces solutions risquent de ne pas être valorisées. C’est précisément dans cette phase de construction réglementaire que leur reconnaissance doit être posée, au même titre que les options déjà établies.
Construire une politique de décarbonation inclusive et cohérente
Atteindre les objectifs de RED III suppose de construire un cadre national à la fois rigoureux et adapté aux réalités opérationnelles. Cela implique de reconnaître l’ensemble des solutions capables de réduire les émissions, y compris celles qui sortent des modèles historiques ou des logiques d’électrification centralisée. Le futur dispositif IRICC devra s’appuyer sur des critères de performance carbone lisibles, qui reflètent la diversité des usages et des technologies disponibles.
Au-delà de l’efficacité, c’est aussi une question d’équité. Restreindre la reconnaissance aux seules options les plus visibles reviendrait à brider l’innovation et à ignorer des solutions déjà prêtes à l’emploi. Associer production locale, carburants avancés et technologies hors réseau à une électrification raisonnée, c’est donner à chaque secteur les moyens d’agir selon ses contraintes.
L’Europe dispose déjà des ambitions. Reste à donner à ses États les moyens d’en faire des politiques concrètes, cohérentes et durables. La Chine l’a montré : une directive bien structurée peut transformer une filière. En 2024, elle a déjà atteint son objectif 2030 en matière de capacités éoliennes et solaires. Et pour soutenir cette trajectoire, elle a investi plus de 600 milliards de dollars dans les énergies propres. L’exemple chinois le montre, il est encore temps d’ouvrir le débat, avant que le cadre ne se referme.
Sources / Notes
- Documents de la consultation sur le projet de mécanisme incitant à la réduction de l’intensité carbone des carburants (IRICC) qui a eu lieu en mai-juin 2025.
- Directive du 18 octobre 2023 modifiant la directive (UE) 2018/2001, le règlement (UE) 2018/1999 et la directive 98/70/CE en ce qui concerne la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil.


