Exporter massivement le gaz américain vers l'UE ? Pas si simple...

  • AFP
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Donald Trump a assuré que les pays de l'Union européenne allaient devenir des "acheteurs massifs" de gaz naturel américain, une assertion qui se heurte aux réalités économiques selon plusieurs analystes.

Le président américain et le chef de l'exécutif européen Jean-Claude Juncker ont désamorcé mercredi le conflit commercial entre Washington et Bruxelles en annonçant une série de mesures dans l'agriculture, l'industrie et l'énergie. Et, selon Donald Trump, l'UE va considérablement augmenter ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain. Un voeu qui pourrait s'avérer difficile à atteindre à court terme.

Car "pour le consommateur européen, ce qui compte, c'est le prix", résume Thierry Bros, chercheur à l'Oxford Institute for Energy Studies. Et le GNL en provenance des États-Unis est simplement plus coûteux. L'Union européenne ayant libéralisé le marché de l'énergie, "ce prix est fixé par un équilibre entre l'offre et la demande sur la place de marché des Pays-Bas" par des entreprises privées, rappelle-t-il.

Washington "ne peut tout simplement pas forcer des clients européens à acheter du gaz naturel liquéfié américain plus cher", en particulier face au gaz en provenance de Russie ou de Norvège, abonde Matt Smith, analyste pour le cabinet spécialisé en énergie ClipperDate.

Exporter du gaz naturel russe via des gazoducs reste bien moins onéreux que vendre du gaz américain, qu'il faut liquéfier dans des installations coûteuses aux États-Unis, transporter par bateau, puis regazéifier.

Un haut responsable européen a d'ailleurs relevé jeudi que l'UE n'était "pas une économie soviétique". "Elle ne peut pas imposer des achats à des acteurs privés. Ces importations se feront aux conditions du marché", a-t-il insisté. Sur ce point, l'accord conclu mercredi entre le président américain et le président de la Commission européenne semble relever, selon lui, d'"une déclaration d'intention". "Comme il n'y a pas de taxes sur l'importation de GNL", l'UE ne peut même pas jouer sur le front de la fiscalité, remarque par ailleurs le chercheur d'Oxford.

Indépendance énergétique

Depuis qu'ils produisent du gaz naturel à foison grâce aux nouvelles techniques d'exploitation des bassins de schiste, les États-Unis ont accéléré la recherche de débouchés sur le marché mondial: les cargaisons de GNL américain envoyé à l'étranger ont quadruplé en 2017, Washington redevenant un exportateur net de gaz naturel pour la première fois en 60 ans. Augmenter les exportations énergétiques est aussi une façon pour les Éats-Unis de combler leur déficit commercial, une priorité pour l'administration Trump.

Jean-Claude Juncker a bien affirmé mercredi que les Européens étaient "prêts à investir dans des infrastructures et des nouveaux terminaux" pour accueillir le GNL. Mais cela n'apporterait pas énormément, selon Thierry Bros: il existe déjà des infrastructures destinées à cette fin, et elles ne sont utilisées qu'à 26% de leurs capacités.

L'Union européenne a pourtant un besoin grandissant de gaz étranger: sa consommation a augmenté de 4,3% en 2017, à 467 milliards de mètres cubes, quand sa production baissait de 5,3%, à 118 milliards de m3Les pays de la zone se sont jusqu'à présent surtout tournés vers la Russie, qui fournit désormais environ un tiers du gaz européen.

Pour autant, les responsables européens ont plusieurs fois souligné l'importance de diversifier les approvisionnements en énergie, par souci d'indépendance vis-à-vis de Moscou et du respect de la concurrence. L'Europe a déjà soutenu le lancement d'un vaste projet en Azerbaïdjan. Mais le GNL est devenu une option de plus en plus prisée, qu'il vienne du Qatar, du Mozambique, d'Australie ou des Etats-Unis.

L'administration américaine multiplie, elle, les efforts pour promouvoir son gaz. Donald Trump en a plusieurs fois vanté les mérites auprès de ses homologues européens, tout en fustigeant le projet Nord Stream 2, qui doit doubler les capacités de livraison par la route de transit via la mer Baltique entre la Russie et l'Allemagne.

Mais l'Asie et l'Amérique latine restent pour l'instant les destinations préférées des entreprises américaines. Selon l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA), plus de 50% des cargaisons étaient en 2017 à destination de trois pays: le Mexique, la Corée du Sud et la Chine.

Toutefois, "la hausse des exportations de GNL américain ne fait que commencer", remarquent dans un rapport les analystes de S&P Global Platts, tablant sur un quadruplement des volumes entre 2017 et 2020, une fois les travaux sur quatre grands terminaux terminés. Et les entreprises américaines ayant nettement abaissé leurs coûts de production, les prix du gaz produits aux États-Unis "vont devenir de plus en plus compétitifs sur le marché mondial".

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