- Connaissance des Énergies avec AFP
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Peu disert sur la question des droits humains au Qatar, partenaire de premier plan, le gouvernement français a récemment déporté le sujet sur la Fédération française de football (FFF), attitude teintée "d'hypocrisie" selon certains spécialistes.
La ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a récemment mis la FFF sous pression en lui demandant début octobre de lui rendre compte de ses actions concernant les droits de l'Homme au Qatar lors de la prochaine Coupe du monde (20 novembre - 18 décembre).
Elle s'est ensuite dite "choquée" par les propos "hors-sol" tenus par le président de la FFF Noël Le Graët dans la magazine Complément d'enquête diffusé par France 2 le 13 octobre, où le dirigeant commentait les conditions de vie de travailleurs sous-traitants de l'hôtel où doivent séjourner les Bleus au Qatar.
Des sorties médiatiques "stratégiques" et "plutôt malignes" selon une source proche d'ONG travaillant sur place, sur un sujet que les autres ministres, Matignon ou l'Elysée n'effleurent que très rarement.
- "La FFF sert de paratonnerre" -
"Pendant très longtemps, cela n'a pas été un sujet pour le gouvernement, encore moins pour le ministère des Sports. Là, le sujet est mis sur la table", dit cette source.
Mais cette stratégie fait grincer quelques dents au sein de la FFF.
"On se sert clairement de l'équipe de France et de la fédération. La FFF sert de paratonnerre dans un contexte de relations diplomatiques et commerciales avec le Qatar", estime un membre de la FFF, proche de son président, sous couvert d'anonymat.
"On nous dit : +Allez-y, occupez-vous des droits de l'Homme+, comme si on avait reçu une délégation de service public sur la question des droits de l'Homme au Qatar", ironise-t-il.
La parole officielle française égratigne peu le Qatar sur la question des droits humains et des conditions de vie des travailleurs.
La France veille en effet à maintenir un équilibre diplomatique complexe dans la région, entre le Qatar d'un côté et les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite de l'autre. Et Doha est un partenaire incontournable, diplomatique, stratégique et économique. Un pays à qui la France a vendu 24 avions de combats Rafales en 2015, et douze de plus en 2018.
Emmanuel Macron s'est par exemple rendu en décembre 2021 à Doha, dans un pays qui a acheté du matériel militaire à la France pour près de onze milliards d'euros sur dix ans. Six mois plus tard, la France remerciait les autorités pour avoir permis l'exfiltration de centaines de Français lors de l'arrivée au pouvoir des talibans en août 2021 en Afghanistan. Plus de deux cents experts français on été envoyés au Qatar pour sécuriser l'évènement.
"Le Qatar n'est pas du tout un Etat paria", rappelle le journaliste Christian Chesnot, qui révèle dans son dernier ouvrage "Qatar: les secrets d'une influence planétaire" que Doha avait réglé la rançon pour sa libération quand il avait été pris en otage en Irak en 2004.
"La France est dans une relation diplomatique de haut niveau avec le Qatar, un pays qui a une vraie logique d'influence chez nous", résume Jean-Baptiste Guégan, auteur de Géopolitique du sport (Ed. Bréal).
"On a un business assez juteux avec eux. Il y a près de 25 milliards d'euros d'argent qatarien investi en France", rappelle Christian Chesnot.
Le gaz, en pleine guerre d'Ukraine, est une autre raison de ne pas se fâcher avec le pays qui possède les troisièmes plus grandes réserves au monde.
- "Incompétence" -
Ce contexte explique sans doute la gêne du gouvernement pour aborder frontalement la question des droits humains.
"Il y a beaucoup d'hypocrisie de la part du gouvernement français, qui aurait pu s'emparer bien avant du sujet", estime Christian Chesnot.
"Hypocrisie, ou bien politique de précision pourrait-on dire", nuance cette source proche des ONG.
Si Amnesty International et des équipes comme le Danemark ont fait pression auprès de la Fifa pour améliorer les conditions de vie des travailleurs, la FFF semble s'être aussi réveillée tardivement.
"C'est le problème politique le plus intense qu'on ait eu dans l'histoire des événements sportifs, on n'avait jamais vu ça avant", rappelle le géopoliticien Jean-Baptiste Guégan. "Or, la FFF n'a jamais pensé le problème. C'est un mélange d'incompétence et d'ignorance."
Ce problème de grand écart se pose aussi pour la ville de Paris, avec un club de football qui bat pavillon qatari depuis 2011, l'un des principaux outils du "soft power" de Doha.
Pourtant, la capitale a décidé de ne pas installer d'écran géant pour diffuser le Mondial, invoquant tant "l'aspect environnemental que social" du Mondial qatari.