En librairie : « Un secret si bien gardé », d'Anne Lauvergeon (extrait)

  • Source : Jean-Louis Caffier

La critique de Jean-Louis Caffier

Voici un livre qui peut paraître complètement démoralisant, parfois même effrayant tant il donne une image terrible de l’univers de l’énergie (univers impitoyable comme chacun sait, mais pas à ce point-là).  Anne Lauvergeon raconte à sa manière, implacable, la crise énergétique née de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Elle y voit de nombreux éléments à charge d’un dysfonctionnement profond de l’Europe, et en particulier de son aveuglement face au « modèle allemand » et son obsession antinucléaire, jusqu’à préférer à l’atome importer du gaz de schiste américain !

Face au fiasco de la politique européenne qui déteint salement sur la France, on peut cependant remonter notre moral tricolore grâce à une sorte d’arme secrète à disposition. On parle de nucléaire, bien sûr, mais sous un angle nouveau et ce « secret si bien gardé ». Les errements de l’Europe sont largement expliqués dans les bonnes feuilles proposées dans cette chronique et que nous vous conseillons.

Sur la France, le décorticage est tout aussi sidérant. Point de départ : « l’électricité décarbonée non intermittente va devenir une denrée rare en Europe ». Et pour fournir, inutile de demander où chercher à l’ancienne patronne d’Areva, ex-numéro un du nucléaire dans le monde. Anne Lauvergeon se désole des mauvaises ondes qui accompagnent l’atome. Comme le sentiment d’une profonde injustice.

Les premiers responsables de la mauvaise image du nucléaire viennent historiquement de la mouvance écologiste et de son petit matelas électoral. « Avant chaque élection, les Verts demanderont leur morceau de nucléaire à leurs partenaires de gauche ». Outre les fermetures de Superphénix et Fessenheim ou l’abandon d’Astrid, l’indéniable influence verte a discrètement gagné de nombreux lieux de pouvoir. C’est ainsi que la politique a pris le dessus sur la physique. Et c’est là que l’on découvre les manipulations, les omissions, les tromperies qui aboutissent à une promotion de l’éolien et du solaire au détriment évidemment du nucléaire. 

Pour cela, comme pour mieux contrôler la situation, ce sont des politiques qui ont été nommés à la tête des acteurs publics de l’énergie. Le système en prend un coup. EDF et RTE sont ainsi accusés de simulations et de cacher la vérité. « RTE a trompé le Sénat », précise même Anne Lauvergeon. Il s’agit là de la production électrique du nucléaire et d’un secret « si bien gardé », le facteur de charge. En France, il est en dessous des 70% alors qu’il atteint ou dépasse les 90% partout ailleurs ou presque. Le problème, c’est que devant le Parlement, RTE présente ce faible résultat comme un maximum servant à élaborer la PPE. Et à permettre le développement des ENR intermittentes avec des « investissements considérables ». Selon Anne Lauvergeon, il suffirait d’améliorer ce facteur de charge pour « produire beaucoup plus, créer des emplois, baisser le coût de l’électricité pour les entreprises comme pour les particuliers ». La marge de manœuvre est impressionnante. Prenons les opérations de changement de combustible : aux États-Unis, c’est 30 jours tous les 18 mois ; en France, 100 jours tous les 12 mois. 

À l’heure où les élus de la République discutent de l’avenir de l’énergie, voici une piste qui mérite le débat. Sur la réglementation, la fréquence des arrêts, la modulation liée aux ENR intermittentes. À lire également dans cet ouvrage qui se lit très bien et souvent comme un roman historique, la post face hallucinante où Anne Lauvergeon détaille ce qu’elle a subi de la part de ses adversaires si bien intentionnés.    

Trois questions à l'auteur : Anne Lauvergeon

Anne Lauvergeon (©ABACA)

Nous sortons d'un épisode de chaleur intense en France et en Europe. Les grands acteurs de l'énergie ont-ils bien pris la mesure des risques liés au réchauffement climatique ?

La prise de conscience du changement climatique a fait d’indéniables progrès depuis 15 ans parmi les gros acteurs de l’énergie. L’arrivée du scope 3 (ensemble des émissions indirectes dans leurs bilans des gaz à effet de serre) va obliger les acteurs européens à faire face peu à peu à certaines réalités quelque peu dissimulées. Les entreprises extra-européennes sont en général beaucoup moins sous cette pression.

L'idéal serait de baisser la consommation d'énergie carbonée ou pas. Peut-on y arriver sans créer des crises économique et sociale ?

Je ne crois pas à la solution par la décroissance. Nous venons d’en faire une expérience collective avec la période Covid. Les États européens ont compensé les impacts. C’est le fameux « Quoi qu’il en coûte » français… qui a grossi notre dette à un niveau insupportable. Sans ces aides, la casse économique et sociale aurait été considérable. Alors baisser nos émissions de gaz à effet de serre, oui mais pas aux dépens de nous tous.

L’Europe ne représente plus que 6% des émissions de CO2 mondiales. L’approche dogmatique et punitive développée par la Commission que je décris dans mon livre, n’a pas créé l’effet d’entrainement attendu. Quel va être l’impact de la politique de Donald Trump sur le reste du monde ? Va-t-il engager d’autres pays sur le chemin de l’abandon de l’Accord de Paris ? Durablement ? Un des paradoxes européens les plus choquants est aujourd’hui la négociation sur l’achat de GNL américain à 80% constitué de gaz de schiste alors que l’on se refuse d’en produire en Europe.

Avec votre société ALP, quels sont les conseils que vous pouvez apporter dans le secteur de l'énergie pour les entreprises ?

ALP est une entreprise que j’ai fondée il y a 12 ans. Nous faisons de l’investissement dans des entreprises innovantes et utiles et du conseil pour les grandes entreprises, les États et les collectivités locales. Dans nos investissements liés à l’énergie, nous avons Urbanloop qui propose une solution de transport en commun autonome et efficace (avec un record du monde homologué de moindre consommation énergétique). Nous travaillons également avec une de nos sociétés sur un modèle innovant d’autoconsommation électrique compétitif.

« Un secret si bien gardé », éditions Grasset.

Lire l'introduction de l'ouvrage d'Anne Lauvergeon :
Extrait du livre d'Anne Lauvergeon