
Refuge du Plan du lac, dans le Parc de la Vanoise en Savoie.
Loin des villes et des infrastructures énergétiques, rares sont les habitats reculés de montagnes à être connectés au réseau électrique national. L’évolution des besoins de confort oblige à trouver des solutions pour leur garantir l’autonomie énergétique.
« Jusqu'à trois jours de brouillard total, on arrive à être autonome en faisant un petit peu attention. » Avec sa compagne, Guilhem Artieres est gardien au refuge du Plan du lac, dans le Parc de la Vanoise en Savoie. Perché à presque 2 400 mètres d’altitude, le site est totalement isolé du réseau électrique national et dépend ainsi entièrement de sa propre production énergétique. « On a 110 mètres carrés de panneaux solaires pour une puissance totale de 19 kW, détaille Guilhem Artieres, un parc de 24 batteries, un chauffe-eau à granulés et un groupe électrogène de 14 kW en cas de besoin ». Une installation énergétique conséquente, qui permet au couple de vivre au refuge 5 mois et demi dans l’année tout en faisant tourner les réfrigérateurs, congélateurs et fours nécessaires à l'accueil des promeneurs, jusqu'à 42 simultanément.
Mais le refuge n’a pas toujours été déconnecté du réseau. Le site n’est isolé que depuis 2019, suite à la décision commune du distributeur Enedis et du Parc de la Vanoise qui en est le propriétaire. « Il y avait un vieux barrage qui n’était utilisé que par nous et une autre habitation, raconte le gardien, Enedis jugeait les coûts d’entretien de la ligne trop importants et le parc y voyait l'opportunité de se débarrasser de la pollution visuelle des pylônes qui nous raccordaient. » En conséquence, les deux entités ont financé l’autonomie énergétique du site à hauteur de 460 000 euros. Une installation énergétique conséquente qui a permis au couple de maintenir le confort du refuge, malgré la déconnexion. « La seule chose qu'on a changée, s’amuse Guilhem Artieres, c’est qu’on s’est débarrassés de la grosse machine à café de bar. »
Une situation courante en montagne
La situation du refuge du Plan du lac est loin d'être unique en zone de montagne. « On retrouve en montagne des problématiques énergétiques similaires aux problématiques insulaires », peut-on lire dans une étude publiée en 2019 par les chercheurs Marie Forget et Kilian Ayroles dans la revue Journal of Alpin Research(1). Le Club alpin suisse gère par exemple 150 cabanes (équivalent suisse de refuge), dont la grande majorité sont déconnectées. « Connecter les cabanes au réseau représente un coût financier très important, explique Marion Herren, architecte pour le club, on a réussi à faire raccorder certaines cabanes qui sont près d’infrastructures ou de routes, mais dans la plupart des cas, l’autonomie est le meilleur choix. »
En France, la situation est similaire et il n’est souvent pas rentable pour le gestionnaire de réseau Enedis de financer le raccordement des sites isolés. En conséquence, il est possible de recourir à des solutions renouvelables spécifiques aux sites non raccordés au réseau, financés en majorité par le programme 794 du Fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ). Ce programme est financé par la puissance publique avec une réserve totale définie dans le budget de l’État : 3 millions d’euros en 2024 (contre 8,5 millions d’euros en 2023(2)). Ces aides ne sont valables que pour les résidences principales et les bâtiments professionnels ou touristiques(3).
Des réalités très variées
Pour Kilian Ayroles, il est possible, tout en étant déconnecté, d’avoir un confort similaire à celui qu’on trouve dans les plaines, à condition de surdimensionner son installation énergétique, comme c’est le cas pour le refuge du Plan du lac. Mais selon lui, la déconnexion générale des habitats de montagne regroupe dans les faits des réalités très différentes.
Les habitats individuels, par exemple, sont souvent des résidences secondaires, et ne sont à ce titre pas éligibles aux aides du FACÉ. Le financement est donc à la charge du propriétaire, et les installations énergétiques sont souvent « bricolées », avec quelques panneaux solaires et groupes électrogènes. « Ce qui consomme le plus, c’est le chauffage de l’eau, estime Kilian Ayroles, certaines personnes enlèvent la résistance de leur lave-linge pour faire des économies. »
La montagne est aussi traditionnellement un territoire d’élevage. « Les gardiens de troupeaux d’ovins, eux, ce sont les précaires des alpages, explique le chercheur, ils ne viennent en montagne que l’été et occupent souvent de très petites cabanes. Parfois, ils ont un panneau solaire pour avoir de la lumière et une douche solaire pour l’eau chaude mais ça reste très rudimentaire. »
Kilian Ayroles relève également un manque « d’adaptation des procédures aux contraintes spécifiques de la montagne ». Selon lui, le meilleur moyen d’avoir une source d'électricité fiable et puissante en montagne est l’exploitation d’un cours d’eau via une pico-centrale(4). « Mais bricoler sa propre pico-centrale demande autant de démarche administrative que pour un barrage », développe-t-il : étude d'impact environnemental, étude hydrologique, étude floristique, impact sur le paysage, etc. « Ça peut coûter jusqu'à 10 000 euros. Dans les faits, les gens contournent la législation et on voit des prises d’eau sauvages un peu partout. »
« Les attentes ont changé »
« Certaines de nos cabanes les plus rustiques se chauffent encore au bois et font fondre la neige pour avoir de l’eau l'hiver, détaille Marion Herren, mais quand on fait des rénovations, la question énergétique est centrale. On n’a pas les mêmes standards qu’en plaine c’est clair, mais sans photovoltaïque ou sans électricité, entretenir une cabane ne serait plus possible aujourd’hui. Les attentes ont changé. »
Pour Kilian Ayroles, de nouvelles problématiques énergétiques se posent en montagne, apportées par une société qui se transforme. « Les nouvelles générations d’agriculteurs veulent plus de confort quand ils vont dans les alpages, les refuges sont montés en gamme et sont soumis aux mêmes réglementations que les restaurants. Une partie des usagers de la montagne souhaitent y vivre comme en bas. »
Encore beaucoup d’énergies fossiles
Les énergies renouvelables tiennent une place conséquente dans l’accès de sites isolés à l’autonomie énergétique. « La plupart de nos cabanes sont alimentées grâce au photovoltaïque ou à des turbines s’il y a de l’eau aux environs, assure Marion Herren, on pourrait faire du gaz ou du diesel, ce serait moins cher, mais on veut développer le renouvelable. » Selon elle, le Club alpin suisse investit chaque année 1 million de francs suisses dans les systèmes d’énergies renouvelables.
Les sites isolés de montagnes sont « des lieux privilégiés pour observer la mise en œuvre de solutions déconnectées », peut-on lire dans l'étude de Kilian Ayroles. Certains refuges sont ainsi des lieux d’expérimentation, comme le refuge du Col du Palais dans le Parc de la Vanoise qui utilise depuis 2015 une pile à hydrogène pour stocker l'électricité produite par ses panneaux solaires.
Mais au global, « le fossile est encore prépondérant, estime le chercheur, c’est rare que des refuges n’utilisent pas de groupe électrogène, ce sont des territoires en transition, au même titre que les plaines. »