Marché de l’électricité et du gaz : la marche vers la concurrence

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Marché de l'électricité

La libéralisation du marché de l'énergie en France est encadrée par la loi et s'est faite par étapes. Elle a notamment offert aux consommateurs la possibilité de changer de fournisseur et de faire des économies. EDF, bien qu'encore dominant dans la production comme la fourniture, est tenu de revendre une partie de son électricité à ses concurrents. Les critiques envers cette ouverture ont été exacerbées par la récente crise énergétique, qui a modifié la dynamique du marché.

Une ouverture à la concurrence en plusieurs étapes

La libéralisation du marché français de l’électricité et du gaz naturel, initiée en 2000, a été impulsée par l’Union européenne, qui souhaite encourager les impératifs concurrentiels du marché commun européen. La France est historiquement empreinte de la notion de service public, assurée par EDF-GDF à partir de 1946. La libéralisation du marché s’est ainsi avérée plus délicate dans l’Hexagone que dans les pays nordiques ou au Royaume-Uni où elle a commencé à être mise en œuvre dès les années 1990.

L'ouverture du secteur à la concurrence a commencé par les professionnels. EDF et GDF ont perdu leur monopole de production et de fourniture, permettant aux entreprises de choisir librement leur fournisseur. Côté transport et distribution, les monopoles ont subsisté : RTE a été créé pour gérer le réseau de transport d'électricité, tandis qu'ERDF (Enedis) et GRDF ont pris en charge la distribution d'électricité et de gaz. 

En outre, des organismes publics et indépendants ont été créés pour assurer le suivi et le contrôle de la libéralisation : la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et le Médiateur de l'énergie.

L'ouverture à la concurrence concerne tous les consommateurs particuliers depuis juillet 2007, sauf dans certaines communes disposant de régies locales. 95% des Français peuvent depuis lors choisir leur fournisseur d'énergie ; ils peuvent rester au tarif réglementé, passer à une offre de marché, et retourner au tarif réglementé s'ils le souhaitent.

La libéralisation s'est poursuivie avec la fin progressive des tarifs réglementés. Ils ont été supprimés :

  • entre 2014 et 2016 pour les entreprises dont la consommation de gaz excédait 30 MWh par an ;
  • en 2016 pour les entreprises dont la puissance du compteur électrique était supérieure à 36 kVA ;
  • en décembre 2020 pour toutes les entreprises consommant du gaz ;
  • en janvier 2021 pour les entreprises employant 10 personnes ou plus (ou ceux dont « le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuel sont supérieurs à 2 millions d’euros », quel que soit le nombre d'employés) pour leur contrat d'électricité ;
  • en juillet 2023 pour tous les particuliers consommant du gaz naturel.

La disparition du tarif réglementé n'est toujours pas prévue pour l'électricité : EDF commercialise toujours son tarif Bleu.

Si les tarifs réglementés sont critiqués pour entretenir l'idée que l’État fixe les prix de l’énergie et protège les consommateurs, alors qu’ils sont en réalité calculés pour couvrir les coûts des opérateurs historiques et leur assurer une marge raisonnable, ils restent toutefois un référentiel de prix pour positionner les offres auprès des consommateurs.

Depuis la suppression du TRV gaz, un indicateur mensuel est donné par la CRE : le prix repère du gaz(1).

Le principe du changement de fournisseur pour le consommateur

Depuis l’ouverture à la concurrence, les consommateurs français peuvent souscrire à des offres dites « de marché » auprès d’un fournisseur historique ou « alternatif » avec un prix déterminé par contrat. Chaque fournisseur alternatif fixe librement son prix de l'électricité et son prix du gaz naturel et peut garantir des services annexes.

Le changement de fournisseur d'énergie permet aux consommateurs de choisir librement un fournisseur d'électricité ou de gaz sans interruption de service, car le réseau de distribution et les compteurs restent les mêmes, gérés par Enedis (pour l’électricité) et GRDF (pour le gaz).

Cette procédure est simple et sans frais, et peut se faire à tout moment, sans avoir besoin de justifier sa décision car les contrats sont tous sans engagement pour les particuliers. Ce n'est toutefois pas le cas des professionnels, qui sont engagés jusqu'à la date prévue dans leur contrat.

Les consommateurs bénéficient d'un délai de rétractation de 14 jours. De plus, ils peuvent revenir à tout moment à un contrat réglementé s'ils le souhaitent.

La revente de l'électricité produite par EDF

Le parc nucléaire et la puissance de production d'EDF est le fruit de décennies de monopole. Pour permettre l'émergence de nouveaux acteurs, il a fallu mettre en place des mécanismes.

Loi NOME et ARENH

La loi dite « Nome », adoptée en novembre 2010, prévoit la réorganisation et la régulation du marché électrique sur la base d’un encouragement de la concurrence. Elle impose à EDF de céder jusqu’à 1/4 de sa production nucléaire à la concurrence à un prix défini par arrêté, dit ARENH (tarif d’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique). Ce prix, censé représenter le coût complet de production, doit permettre de limiter les entraves historiques au développement de la concurrence.

Il a été fixé, après de longs débats, à 40 euros par mégawattheure pour la période du 1er juillet au 31 décembre 2011 et à 42 euros par MWh du 1er janvier 2012 au 31 juillet 2012. Il est resté à ce tarif jusqu'ici et jusqu'à la disparition du mécanisme de l'ARENH, puisqu'un autre prendra le relais du modèle actuel à compter du 1er janvier 2026.

Critiques

La loi NOME était censée « permettre l’exercice de la concurrence entre fournisseurs, garantir aux consommateurs des prix stables et reflétant la compétitivité du parc nucléaire existant, assurer le financement de ce parc et disposer de capacités suffisantes pour garantir l’équilibre entre offre et demande d’électricité ».

Toutefois, « plus de dix ans après le vote de la loi Nome, la mise en œuvre de l’intervention publique sur les marchés français de l’électricité ne garantit plus l’atteinte des objectifs initiaux », constatait la Cour des comptes dans un rapport(2) mis en ligne en juillet 2022.

Loi Nome Synthèse des effets de la mise en œuvre de la loi au regard des objectifs

Plus généralement, le système de l'ARENH était critiqué par de nombreux acteurs et experts du marché, qui s'en sont fait l'écho à de nombreuses reprises sur notre site. Pour Nicolas Goldberg, l'ARENH devait « mixer trop d'objectifs » parfois contradictoires : concurrence et régulation, coûts de production et prix de marché. De plus, il ne donnait pas assez de visibilité sur le long terme à EDF tant à ses concurrents qui lui achètent son électricité.

Post-ARENH

La réforme annoncée en 2023 consacre la dérégulation des ventes d'électricité issue du nucléaire, à compter du 1er janvier 2026, contrairement à l'ancien système qui garantissait aux fournisseurs alternatifs un accès à l'électricité du parc nucléaire d'EDF à prix cassé.

EDF va pouvoir vendre des contrats de long terme à ses concurrents, en fixant librement les prix de sa production nucléaire, alors qu'il doit affronter un mur d'investissements pour la production d'électricité et a besoin de visibilité. L'intérêt pour les concurrents est aussi d'avoir plus de stabilité et moins de volatilité des prix ; ces derniers devant passer par le marché de gros une fois leurs quotas d'ARENH atteints.

En parallèle, le gouvernement prévoit un mécanisme de redistribution au bénéfice du consommateur : EDF reversera à l'Etat des revenus excédentaires issus de son parc nucléaire, en cas de prix élevés sur les marchés de gros.

Si EDF avait l'impression de brader son électricité nucléaire avec l'ARENH, le groupe ressort gagnant de ce nouveau mécanisme. Toutefois, pour la CRE et l'Autorité de la concurrence, « l'existence d'un marché français de la production et de la vente en gros sans régulation en amont, couplée à la présence d'un acteur intégré en aval, en position forte et durable (...) nécessite, la mise en place de garde-fous pour préserver des conditions de concurrence équitables entre EDF et ses concurrents ».

Certains concurrents plaident ainsi pour une séparation des activités de production et de fourniture de l'électricité par EDF. D'autres disent qu'ils s'en accomoderont, et commencent à investir davantage dans leurs propres moyens de production.

De l'aubaine au choc de la crise de l'énergie

La majorité des fournisseurs ne produisant pas eux-mêmes la quantité suffisante pour couvrir les besoins de leurs clients, ils devaient donc passer par l'ARENH et les marchés de gros pour le reste. Notons que certaines années, les fournisseurs n'achetaient pas tout leur quota d'ARENH (loin s'en faut) du fait des prix plus bas encore sur le marché.

Ainsi, de 2007 à 2021, les fournisseurs alternatifs et leurs structures agiles ont été en mesure de proposer des tarifs plus avantageux que les fournisseurs historiques, et par la même occasion engranger des millions de clients.

Evolution du prix en c€/kWh hors taxes. L'évolution du prix du kWh a un impact sur la partie variable de la facture d'électricité. Elle ne prend pas en compte l'évolution potentielle de l'abonnement et des taxes (voir méthodologie). Ici sont comparées les évolutions des prix sur : les tarifs réglementés ; la moyenne de l'ensemble des offres de marché disponibles à la souscription ; la moyenne des 10 % des offres les plus chères du marché disponibles à la souscription ; la moyenne des 10 % des offres les moins chères du marché disponibles à la souscription.

Evolution du prix en c€/kWh hors taxes. L'évolution du prix du kWh a un impact sur la partie variable de la facture de gaz naturel. Elle ne prend pas en compte l'évolution potentielle de l'abonnement et des taxes (voir méthodologie). Ici sont comparées les évolutions des prix sur : les tarifs réglementés ; la moyenne de l'ensemble des offres de marché disponibles à la souscription ; la moyenne des 10 % des offres les plus chères du marché disponibles à la souscription ; la moyenne des 10 % des offres les moins chères du marché disponibles à la souscription.

Ce système fonctionnait jusqu'à ce que les prix sur les marchés de gros explosent en 2021, nourris par le rebond post-Covid et les cours du gaz d'abord, et par la guerre en Ukraine ensuite. Une crise des prix de l'énergie sans précédent a eu lieu en France et en Europe.

Nombreux sont les fournisseurs à avoir fortement augmenté leurs tarifs. La CRE signale qu'elle « a constaté un manque de prudence de la part de certains fournisseurs qui se sont surexposés aux marchés de gros de court terme (spot) et n'ont pas pris les mesures nécessaires ». Seuls les fournisseurs également producteurs s'en sont bien sortis ; à tel point qu'une situation inédite a eu lieu : le tarif réglementé est devenu pendant plusieurs mois l'offre la moins chère.

En parallèle, le nombre de plaintes adressées par des consommateurs avait bondi : 30 626 litiges avaient été recensés par le Médiateur en 2021. Parmi les mauvaises pratiques faites par certains fournisseurs pris de court, on peut mentionner le changement du mode d'indexation à l'avantage du fournisseur : du tarif réglementé aux prix de gros alors en pleine explosion, et des hausses de prix ont été appliquées sans adapter les prélèvements, générant des factures de régularisation élevées.

Ainsi, retourner ne serait-ce qu'un temps au tarif réglementé était la bonne décision à prendre pour les consommateurs. Le nombre de clients résidentiels chez les fournisseurs alternatifs a baissé de 3,6% en 2022 (soit -375 000 sites) alors qu'il ne faisait que croître depuis 2007, avec des années à plus d'un million de passages chez des fournisseurs alterntatifs.

De nombreux fournisseurs ont même dû mettre la clé sous la porte et être rachetés par d'autres. Notons qu'aucun foyer ayant un contrat chez l'un de ces fournisseurs n'a dû subir de coupure d'électricité.

Nombre de fournisseurs d'énergie avec des offres ouvertes à la souscription sur territoire Enedis / GRDF - source Selectra

Depuis la fin de la crise de l'énergie, les prix sur les marchés ont décru mais restent à des niveaux élevés. Grâce au bouclier tarifaire et à la structure même de fixation des tarifs réglementés, le tarif Bleu et les tarifs réglementés du gaz ont pu un temps devenir une valeur refuge, mais cela n'a pas duré : leurs prix ont fortement augmenté depuis. La hausse a ainsi été différée.

Prix moyen par an. Client HP/HC 9 kVA consommant 8 500 kWh/an dont 46% en heures creuses. Sources : CRE et Selectra

Le bouclier tarifaire a pris fin au 1 juillet 2023 - PRG : Prix Repère Gaz - Graphique : Selectra - Source : CRE

A l'heure actuelle, de nombreuses offres de marché des fournisseurs alternatifs sont plus avantageuses que le tarif réglementé.

Parts de marché des fournisseurs

Malgré un large choix et de nombreuses offres de marché moins chères que les tarifs réglementés, les ménages restent très largement soumis à ces derniers pour la fourniture d’énergie. Pendant longtemps, la majorité des ménages français ne savaient pas qu'ils pouvaient changer de fournisseur.

Les fournisseurs alternatifs d’énergie ont toutefois mis du temps à conquérir les consommateurs particuliers en France, mais s'approche toutefois des 35% de parts de marchés pour l'électricité et des 50% pour le gaz

Parts de marché des principaux fournisseurs d'électricité en France métropolitaine sur le segment résidentiel - Source : CRE

Parts de marché des principaux fournisseurs de gaz en France métropolitaine sur le segment résidentiel - Source : CRE

Notons qu'EDF est le principal fournisseur alternatif de gaz et qu'Engie est le principal fournisseur alternatif d'électricité.

Enquête après enquête, les consommateurs déclarent privilégier une plus grande sobriété dans leurs foyers pour faire baisser leurs factures d’énergie, plutôt qu'un changement de fournisseur.

Les promesses de la libéralisation pas toujours tenues

L'enjeu de l'ouverture du marché pour les consommateurs repose sur des prix compétitifs, une qualité de service et de nouveaux services. Prix plus compétitifs, offres 100% vertes, outils numériques, prix indexés ou fixes, pose d'un thermostat connecté ; pour gagner des clients dans un marché ouvert depuis dix ans, les concurrents d'EDF et Engie ont dû innover, contraignant les deux anciens monopoles à s'adapter.

Des comparateurs d'offres et courtiers ont émergé pour aider les consommateurs à s'y retrouver entre les différentes offres ou à suivre leurs consommations en ligne jour après jour, ou encore lancer des achats groupés d'énergie.

Hausse des prix

Pour autant, les prix de l'électricité n'ont eu de cesse d'augmenter. En France, le prix moyen de l’électricité au 1er semestre 2011 atteignait 0,138 €/kWh. Il a plus que doublé depuis.

Pour Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier, cette situation a d'abord été dûe « principalement à l'augmentation des taxes (pour financer le développement des EnR) et un peu au coût des réseaux ». Deux cas pour lesquels l'ouverture à la concurrence n’est pas en cause.

Facture annuelle en euros constants d’un particulier au tarif réglementé ayant souscrit l’option Base et une puissance de 6 kVA (en €/an) pour une consommation de 2 400 kWh/an - Source : CRE - Graphique : Selectra

Ensuite, comme on l'a vu, l'augmentation des coûts de production d'EDF et l'explosion des prix sur les marchés de gros - et donc la part fourniture du prix de l'énergie - ont pu expliquer la hausse des prix. Si de nombreux fournisseurs alternatifs restent moins chers et permettent de faire de réelles économies, on ne peut toutefois pas affirmer qu'ils aient permis de faire baisser les prix ; mais peut-être d'en limiter la hausse.

Pratiques commerciales douteuses

Chaque année, le Médiateur dénombre des milliers de litiges, portant souvent sur des soldes erronés, des changements de prix ou des démarchages frauduleux. Les abus et le nombre de plaintes avait atteint des sommets lors de la crise de l'énergie.

Or tous les fournisseurs ne doivent pas être logés à la même enseigne : la plupart ont des pratiques saines et s'en sortent bien mieux que d'autres.

Nombre de litiges pour 100 000 clients (pour les fournisseurs de plus de 50 000 clients de la zone Enedis/GRDF) - Source : Rapport 2023 du Médiateur National de l'Energie

Pour y remédier, la CRE a publié en 2024 treize "lignes directrices" pour les fournisseurs, visant à « renforcer la confiance des consommateurs, dans un contexte de sortie de crise des prix de l'énergie » : 

  • Avant la souscription du contrat, les fournisseurs devront clarifier la typologie de leurs offres, estimer la facture mensuelle et annuelle et fournir une visibilité sur 12 mois quant à l'évolution du prix.
  • En cas de changement de prix en cours de contrat, les fournisseurs devront présenter l'impact sur la facture avec préavis et réviser l'échéancier de paiement en cas d'évolution au-delà d'un certain seuil.
  • En fin de contrat, pour le renouvèlement automatique, le fournisseur s'engage à envoyer au consommateur une proposition dûment détaillée.

L'absence d'innovation et de baisse tarifaire significatives, la complexité du système et des offres, le recours à des pratiques commerciales critiquables et le principe de la "contestabilité" garantissant à tout prix la compétitivité des alternatifs par rapport aux historiques sont souvent critiquées.

Toutefois, ces griefs ne sont pas qu'imputables aux fournisseurs alternatifs, qui demeurent bien souvent plus agiles et créatifs. Si l'existence de grands groupes solides est importante pour le pays, aujourd'hui, la décentralisation de la production et la flexibilité du réseau électrique par de nouveaux modèles de tarification sera accélérée par les nombreux petits acteurs formant l'écosystème énergétique français.

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