Bilan de la politique énergétique de la Présidence Trump : un verre à moitié plein…

Jean-François Boittin

Chercheur associé au CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales), spécialiste de la politique économique américaine
Ancien directeur des équipes du Trésor dans les ambassades de Washington et Berlin

Le programme de la Présidence Trump pouvait se résumer facilement : l’objectif était d’éliminer systématiquement l’héritage de son prédécesseur, pour des raisons personnelles autant qu’idéologiques. La politique énergétique s’inscrit dans cette logique. Le bilan qu’on peut en tirer est mixte, même si l’analyse est compliquée par l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur l’économie du pays, et le secteur en particulier.

Le Président peut incontestablement se féliciter de la confirmation du rôle des États-Unis en tant que premier producteur de pétrole et de gaz, ce qu’il traduit - la modestie n’est pas son fort - par la formule de « domination énergétique des États-Unis ». America First oblige ! Les chiffres soutiennent cette affirmation, mais en réalité, ne font que confirmer une tendance historique : la mise en œuvre du miracle du « fracking », un cocktail typiquement américain qui associe recherche et développement publics, et relais au niveau local par des entrepreneurs de terrain (même recette que pour l’internet).

La fracturation hydraulique a permis aux États-Unis de devenir le premier producteur mondial de pétrole en 2017, devant la Russie et l’Arabie saoudite, et d’être le premier producteur mondial de gaz, devant la Russie, depuis 2011. Barack Obama, dans son discours sur l’état de l’Union en 2015(1), avait déjà célébré le fait que le pays était premier producteur mondial de ces deux sources d’énergie. Le Président Trump a pu, à son corps défendant sans doute, s’inscrire dans la lignée de son prédécesseur et saluer le fait que le pays est devenu exportateur net de pétrole en 2018, après avoir été exportateur net de gaz depuis 2011.

La production de pétrole a augmenté de 5 millions de barils par jour (Mb/j) en 2008 à 9,4 Mb/j en 2015 (hausse de 88%), et atteint 12,2 Mb/j en 2019 (soit une hausse de 29% par rapport à 2015)(2). La progression est aussi forte pour la production de gaz naturel : 36% entre 2008 et 2015, 27% entre 2015 et 2019.

Évolution de la production américaine de pétrole brut et du cours moyen mensuel du baril de WTI

Le Président peut à bon droit souligner qu’il a facilité la tendance : il a pris des mesures pour ouvrir à l’exploitation des zones jusqu’alors protégées, dans les parcs nationaux (Alaska en particulier, côtes - mais pas la Floride, pour des raisons électorales -), et assouplir le cadre réglementaire. L’EPA, le ministère de l’Environnement américain, a annoncé en août sa décision de supprimer la réglementation fédérale qui vise à limiter les émissions de méthane(3) ; la mesure est contestée devant les tribunaux par les organisations environnementales, et divise la profession. Les gros producteurs sont favorables au maintien du système existant.

L’administration peut aussi profiter de l’impact géostratégique de la nouvelle situation : moindre dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient, facilitation de l’utilisation des sanctions dont elle peut user et abuser (Iran, Venezuela). L’hostilité au projet de gazoduc Nord Stream 2 est habillée de considérations de sécurité, mais recouvre aussi des préoccupations mercantilistes. Tout laisse à penser d’ailleurs qu’une administration Trump ne serait pas nécessairement un fournisseur aussi fiable que la Russie de Poutine.

La crise sanitaire a souligné les limites du concept de domination énergétique…

La vraie question est celle de la signification de la « domination énergétique ». La crise sanitaire a souligné les limites du concept. Le Président Trump a fait pression au début du mois d'avril sur l’OPEP pour faire remonter les prix : ironie de l’histoire, il est ainsi devenu « membre honoraire » du cartel pétrolier régulièrement dénoncé dans les termes les plus durs par les autorités américaines. Avec des résultats mitigés : le 20 avril, le prix du baril de West Texas Intermediate (WTI) est passé à - 37,63 $ sur le marché des futurs. L’évènement a rappelé brutalement que le marché pétrolier est un marché global, dont les États-Unis ne peuvent pas s’abstraire. 

L’affaiblissement durable des prix depuis (ils oscillent autour de 40 $ le baril de WTI, contre 60 $/b avant mars) confirme aussi une faiblesse structurelle du secteur américain : le manque de rentabilité des entreprises qui dépendent largement des financements de Wall Street, de plus en plus sceptique à leur égard. En 2019, Mc Kinsey soulignait le handicap d’un secteur non conventionnel (fracturation hydraulique) axé uniquement sur la croissance et qui ne produisait ni cash-flow, ni retour sur investissement.

We are OK...

La Covid-19 et la chute de la demande n’ont fait qu’aggraver la situation. Le nombre de plateformes pétrolières à travers les États-Unis a plongé (de 800 à 261 en un an), les faillites se sont multipliées (des dizaines d’indépendants, dont Chesapeake Energy, un des pionniers de la fracturation hydraulique), les sociétés de services (Halliburton, Schlumberger entre autres) ont dû licencier une bonne partie de leurs effectifs. De nombreuses communautés locales, qui vivaient dans la fièvre d’un remake de la « ruée vers l’or » sont durement touchées. Mais il s’agit d’une mauvaise passe, comme celles que le secteur a traversées pendant la crise financière ou en 2015 et il sera, après restructuration, de nouveau prospère. Le Président l’a d’ailleurs déjà annoncé - avec un peu d’avance peut-être - à Houston en août : « We are OK ».

Il ne pourrait pas dire la même chose de son autre priorité énergétique, le « beau charbon tout propre », refrain de ses discours dans la région des Appalaches, qui n’est d’ailleurs plus le centre de la production américaine. Il s’est déplacé vers les mines à ciel ouvert du Wyoming (40% de la production américaine de charbon). Le déclin de la production est une tendance lourde (de 1 000 à 700 millions de tonnes courtes(4) sur la période 2014-2019), dont l’Energy Information Administration (EIA), agence statistique reconnue du ministère de l’Énergie, estime que la pandémie va l’accélérer brutalement : elle prévoit pour 2020 une production de 502 millions de tonnes, la même qu’en 1963, en baisse de 28,8% par rapport à 2019.

La raison principale de cet effondrement : la chute de la part du charbon dans la production d’électricité du pays, de 44,8% en 2010 à 16,9% au 1er semestre 2020. La petite reprise attendue en 2021 ne change rien à cette tendance lourde : le charbon est victime de la concurrence du gaz (environ 39% de la production nationale d’électricité). Les compagnies d’électricité hésitent à investir dans des centrales qui doivent être amorties sur des décennies et qui peuvent être remises en cause par une future administration. Les tentatives de l’administration pour imposer une obligation de recours au charbon au motif d’une prétendue sécurité nationale se sont heurtées au refus des membres Républicains de l’agence compétente (la FERC), qui privilégient la loi du marché.

Mix électrique américain au 1er semestre 2020

Bizarrement, l’administration est muette sur un sujet qui mériterait l’attention en termes de sécurité (pour contrôler à l’international les risques de prolifération), le nucléaire. Ce sont les États, New York ou l’Illinois, qui mettent en place des subventions pour maintenir les centrales en fonctionnement. La part du nucléaire dans la production nationale d’électricité reste stable, à près de 20%, avec 96 réacteurs dont l’âge moyen est de 38 ans. Deux nouveaux réacteurs devraient commencer à produire en 2021 et 2022(5), mais les équipes Trump sont discrètes là-dessus, à la différence du ministre de l’Énergie de Barack Obama, Ernest Moniz, physicien nucléaire, et apôtre de la technologie.

Les énergies renouvelables ne sont pas la tasse de thé de Donald Trump : il n’a pas de mots assez durs pour condamner les éoliennes, qu’il appelle des « moulins à vent », qui « tuent les oiseaux par milliers » et menaçaient d’abîmer l’horizon au large d’un de ses golfs en Écosse. Et une de ses premières mesures protectionnistes, contre les importations de panneaux solaires, paraissait dirigée contre les installateurs d’un secteur en forte expansion.

Son hostilité ne freine pas l’essor des renouvelables, qui, hydroélectricité et biomasse comprises, compte pour près de 22% de la production actuelle d'électricité du pays, après 17,4% en 2019. L’augmentation est due à l’essor de l’éolien et du solaire, même s’ils ne constituent encore que la moitié du secteur. L’appartenance politique des ménages ne semble pas affecter leur utilisation de panneaux solaires domestiques, et les États « rouges » (Républicains) ne rechignent pas à l’installation de turbines. Celles des champs de maïs de l’Iowa produisent plus de 40% de l’électricité de l’État. Le Texas n’est pas en reste : les turbines y poussent dans les plaines où rouillent les tuyaux des puits pétroliers abandonnés et produisent plus du quart du total d’électricité générée à travers le pays par cette source d’approvisionnement.

Pittsburgh-Paris même combat !

Il est vrai que la majorité des Américains ne partagent pas le scepticisme du Président sur le sujet du changement climatique : il vient de répéter à l’occasion d’une visite dans la Californie ravagée par les incendies que « la science ne sait rien là-dessus ». Son administration est muette en interne sur le sujet des gaz à effet de serre (GES), qui ont augmenté de 3% en 2018, avant de baisser de 2% en 2019 (baisse de l’utilisation du charbon, qui n’est pas de son fait). Et si Donald Trump a poussé à l’ONU une charge vigoureuse contre la politique climatique de la Chine et ses émissions records, il n’a pas tort dans l’absolu (la Chine produit 28% des émissions mondiales, les États-Unis 15%), mais il oublie que les statistiques par tête donnent encore un avantage confortable à Washington : 16,51 tonnes par habitant aux États-Unis contre 7,05 en Chine. Et il passe sous silence le fait que tout son programme de dérèglementation a pour effet d’augmenter les émissions de GES.

La loi de Newton heureusement se vérifie et États fédérés, collectivités locales et grandes entreprises multiplient les initiatives pour pallier la défection de l’autorité fédérale. La Californie, qui impose des normes de consommation contestées en justice par Washington, vient d’annoncer que l’État interdira les moteurs à explosion et les diesels en 2035, les 10 métropoles américaines membres du C40 (qui réunit 96 métropoles mondiales) affichent leurs propres ambitions sur le climat, et 25 gouverneurs, et la maire de Washington au sein de la U.S. Climate Alliance promettent le respect des engagements pris par le pays dans le cadre de l’accord de Paris, que le Président a quitté en fanfare. Reste qu’il leur sera difficile d’achever les résultats promis s’ils doivent mener une guérilla contre le gouvernement fédéral. C’est en réalité sur cet enjeu du climat que l’élection de novembre est capitale pour le reste de la planète.

Et cette question pèsera à la marge dans l’élection de novembre, plus que la politique énergétique. Le Président Trump entonnera l’air de la « domination énergétique », même si le verre n’est qu’à moitié plein (il devra passer le charbon sous silence), et dénoncera le programme démocrate du « Green New Deal » comme un complot communiste contre l’Amérique. Pas sûr que l’argumentation convainque une majorité de l’électorat. Lorsqu’il avait annoncé rejeter l’accord de Paris, il avait justifié cet abandon en affirmant : c’est Pittsburgh qui m’intéresse, pas Paris. Et s’était vu répondre par le maire de la capitale historique de la sidérurgie américaine, devenue un pôle universitaire majeur et un grand centre de recherches médicales : Pittsburgh-Paris même combat !

Commentaire

Denis

Merci pour cette intéressante analyse, donnant une vision précise de la situation énergétique des E-U.
Il est clair que le Président américain se prête facilement aux caricatures, mais il est toujours dommage lorsqu'un article technique se teinte d'idéologie, qu'elle soit écologiste ou anti-Trump.

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