Iran : l’accord ambigu du Caire et les questions sans réponse

Hamid Enayat

Politologue
Spécialiste de l'Iran (collabore avec l'opposition démocratique iranienne - CNRI)

L’accord conclu récemment au Caire entre la République islamique d’Iran et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), en date du 9 septembre, bien qu’annoncé comme une entente commune, a donné lieu à des interprétations divergentes – voire contradictoires – de la part des deux parties.

Un manque de clarté

Selon Reuters, le 9 septembre, le directeur général de l’AIEA a déclaré que l’Iran avait accepté de permettre à l’agence un accès à ses principales installations nucléaires. Cet accès vise à permettre aux inspecteurs internationaux d’évaluer les dégâts causés par les frappes aériennes menées en juin par les États-Unis et Israël, ainsi qu’à vérifier les stocks d’uranium enrichi proches du seuil militaire. 

De son côté, le Ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi, a affirmé dans une interview diffusée sur la télévision d’État iranienne : « Oui, l’accord prévoit des inspections, mais toutes les considérations du Parlement et du Conseil suprême de la sécurité nationale ont été prises en compte. » Cette déclaration, manquant de clarté, n’a fait qu’accroître les zones d’ombre autour de l’accord.

Un journaliste du Wall Street Journal a lui aussi dénoncé l’opacité de l’accord, écrivant : « À mon sens, l’entente entre Grossi et Araghchi manque de transparence. » Le site gouvernemental iranien Entekhab a, pour sa part, souligné qu’aucun délai n’avait été fixé pour le retour des inspecteurs sur les sites endommagés, qu’aucun calendrier n’était prévu pour les rapports concernant les sites Natanz, Fordow, Ispahan et les stocks nucléaires, et que l’accès de l’AIEA à ces stocks restait flou.

Toujours selon Reuters, les puissances européennes (France, Royaume-Uni et Allemagne) ont, le 9 septembre, enclenché le mécanisme dit de « snapback » (rétablissement automatique des sanctions). Elles ont précisé que ce processus ne serait suspendu que si l’Iran autorisait des inspections, déclarait ses stocks d’uranium enrichi et entamait de réelles négociations avec les États-Unis. 

Dans l’ensemble, malgré l’accord du Caire, le dossier nucléaire iranien reste dans une phase critique et instable. L’ambiguïté de l’accord, les stocks d’uranium préoccupants, la menace du mécanisme de snapback et le risque de retrait du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP) exposent l’avenir de cette crise à une instabilité sans précédent.

Pourquoi la crise nucléaire iranienne demeure-t-elle irrésolue ?

Le programme nucléaire de la République islamique est étroitement lié à la survie politique du régime. Ali Motahari, ancien député, a déclaré ouvertement : « Le programme nucléaire iranien visait dès le départ à construire une bombe. »

Aujourd’hui, le guide suprême se trouve face à trois scénarios principaux :

  • renoncer totalement à l’enrichissement de l’uranium et abandonner définitivement tout projet de bombe atomique ;
  • poursuivre l’enrichissement à des niveaux élevés en continuant sur la voie de l’armement nucléaire ;
  • chercher une voie intermédiaire : limiter l’enrichissement à 3,67 % (conformément à l’accord de Vienne de 2015 – JCPOA), tout en maintenant les infrastructures nécessaires pour une accélération future si nécessaire.

Il semble que le régime ait opté pour cette troisième voie, espérant ainsi apaiser partiellement les attentes européennes et éviter l’activation du mécanisme de snapback

Plusieurs démarches sont en cours dans cette optique :

  • des discussions sont menées avec les autorités d’Oman et du Qatar afin de convaincre Washington de reprendre les négociations ; 
  • un accord a été signé avec Rafael Grossi, directeur général de l’AIEA, mais ses termes n’ont pas encore été rendus publics ;
  • des pas d’apaisement envers l’Europe ont été pris, avec en perspective la libération de trois otages français détenus en Iran, probablement dans le but d’inciter la France à renoncer au déclenchement du mécanisme de sanctions.

Une crise aggravée par l’inaction du Parlement

Plus préoccupant encore : en pleine période de tension, le Parlement iranien a été mis en pause. Bien qu’une telle décision ne soit pas inédite, le média d’État AsiaNews (édition du 10 septembre) y voit un revers stratégique pour le pouvoir, en déclarant : 

« Dans une décision inattendue et controversée, le Parlement a fermé ses portes pour 18 jours, en plein cœur de l’une des périodes les plus sensibles de l’histoire contemporaine de l’Iran. Cette décision apparaît davantage comme un échec stratégique que comme une simple erreur tactique. »

La voie intermédiaire : la stratégie actuelle du régime

Dans une interview télévisée, Araghchi a déclaré qu’« une grande partie de l’uranium enrichi se trouve désormais sous les décombres des installations bombardées ». Il a précisé que l’Organisation iranienne de l’énergie atomique évaluait encore si ces matériaux étaient récupérables ou non. Il semble donc que le régime mise sur un enrichissement limité à 3,67 % pour préserver ses capacités nucléaires, sans pour autant renoncer véritablement à l’enrichissement et en conséquence à son programme d’armement.

Ce 17 septembre, les ministres des Affaires étrangères allemand, britannique et français se sont entretenus par téléphone avec Abbas Araghchi. À l'issue de cet entretien, le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères a indiqué qu' « à ce stade, les mesures prises par l'Iran n'ont pas été suffisantes ».

Ainsi, avec cette stratégie, la crise nucléaire iranienne ne saurait être résolue en profondeur. La seule issue véritable passe par un arrêt complet de l’enrichissement et un accès sans restriction pour les inspecteurs de l’AIEA à tous les sites sensibles – condition indispensable pour garantir la paix en Europe et au Moyen-Orient.

Une leçon de la dernière décennie

Ne serait-il pas temps de tirer les leçons de la décennie écoulée ? Si les puissances mondiales avaient fait preuve de plus de fermeté lors des négociations de 2015 – en mettant de côté les intérêts économiques et politiques – il aurait été possible de démanteler complètement le programme nucléaire militaire iranien. L’Europe et le reste du monde n’auraient peut-être pas à affronter une telle crise aujourd’hui.

L’histoire des quarante dernières années montre que la politique d’apaisement à l’égard du régime iranien n’a pas empêché la guerre – elle l’a rendue inévitable. Sans concessions de la communauté internationale, ce régime ne se serait jamais approché autant de l’arme nucléaire.

La résolution durable de la crise nucléaire iranienne passe par un changement de régime porté par le peuple iranien et sa résistance organisée. Comme l’a averti Maryam Radjavi, dirigeante de la Résistance iranienne, le 20 novembre 2013 à la veille des négociations de Genève avec le groupe des 5+1, « tout accord conclu entre la communauté internationale et le régime des mollahs, sans un arrêt total de l’enrichissement, ne fera que lui offrir davantage d’opportunités pour fabriquer la bombe atomique. »

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