
Responsable Ingénierie d'affaires pour l'Inde, Hexagon
Face à la croissance rapide de sa population et de son économie, l’Inde mise sur les énergies renouvelables et le nucléaire mais aussi sur le développement de ses champs pétroliers et le développement de sa capacité de raffinage. Si le pays affiche un objectif « Net Zéro » pour 2070, la sécurité énergétique et la capacité à fournir une énergie abordable à son milliard et demi d’habitants demeurent les objectifs principaux.
Énergies renouvelables ou énergies fossiles, pourquoi choisir ? Tel pourrait être le slogan de la politique énergétique de l’Inde.
Le pays s’est fixé l’objectif ambitieux d’atteindre la neutralité carbone d'ici à 2070 et, dès 2030, d’amener à 50% la part des énergies non fossiles dans les capacités électriques installées (un niveau quasiment atteint en 2024).

Le pays vient ainsi de passer le cap des 100 gigawatts de capacités solaires, à égalité avec l’Allemagne. L’hydroélectricité devrait également connaître une croissance rapide, avec l’objectif de faire croître sa capacité installée de moitié, de 42 gigawatts aujourd’hui à 67 GW en 2031-2032.
Enfin, le nucléaire, qui représente pour l’heure 8 gigawatts de puissance, soit environ 2% de la capacité installée, pourrait également voir ce chiffre progresser de moitié, via six réacteurs en construction.
En matière de production d'électricité, le charbon est encore ultradominant, comptant pour plus de 72% du mix électrique en 2024, contre moins de 23% pour toutes les filières renouvelables confondues.

La transition énergétique à l’épreuve de l’indépendance stratégique
Si l’objectif de développement des renouvelables devrait entraîner l’abaissement de la part du charbon, ce ne sera pas le cas du pétrole, qui représente aujourd’hui un quart de l’approvisionnement énergétique total du pays.

Bien au contraire : l’Inde accélère son exploration pétrolière offshore : le pays a ainsi ouvert plus d’un million de km2 à l’exploration en octobre 2024 (avec un appel d’offres portant sur 16 lots en février 2025), le gouvernement réformant ses réglementations pour attirer les acteurs internationaux largement absents de l’exploration et de la production. L’Oilfield (Regulatory and Development) Amendment Bill simplifie notamment les autorisations environnementales et foncières, causes fréquentes de retards dans les projets pétroliers et gaziers.
Le pays connaît en effet une demande énergétique en hausse constante, tirée par la croissance de la population et de l’économie indiennes, l’urbanisation, la montée en puissance de l’industrie et le développement d’une classe moyenne plus énergivore. Sa consommation totale d’énergie primaire a ainsi cru de 20% depuis 2019, pour atteindre 36,2 quadrillions de Btu.
Le chiffre place déjà le pays au troisième rang mondial, derrière les États-Unis et la Chine, et devrait connaître une nouvelle croissance de 35% dans les dix ans à venir, selon les prévisions gouvernementales. Résultat : dans un monde où la consommation devrait croître de 1,2 million de barils de pétrole par jour d'ici à 2030, l’Inde représenterait à elle seule un tiers de cette augmentation, selon l’AIE.
Or le pays importe plus de 80% de son pétrole, principalement auprès des pays de l’OPEP+, le reste étant fourni par le million de barils par jour provenant de sa production nationale. L’accroissement de l’exploration des gisements nationaux, décrite par le ministre Hardeep Singh Puri comme une « opportunité à cent milliards de dollars », est donc autant une affaire d’indépendance stratégique que de balance commerciale.
Mais, déjà exposée à une forte volatilité climatique, l’Inde espère également tracer la voie d’une exploitation pétrolière plus respectueuse de l’environnement, notamment grâce à des normes environnementales plus strictes sur les carburants et produits raffinés, par exemple les standards d’émission « Bharat Stage » (BS) VI alignés sur les normes Euro-6/VI européennes.
L’espoir d’une exploitation pétrolière high-tech
Côté exploitation, l’Inde fait face à un double défi. Le pays souhaite d’une part aller vite pour accélérer l’exploitation de ses ressources pétrolières tant que la demande mondiale est au plus haut. Le pays est déjà le troisième exportateur mondial de produits raffinés, avec l’Europe parmi ses principaux clients.
Dans le même temps, il souhaite éviter de faire croître son empreinte carbone alors que la part de l’Inde dans les émissions de gaz à effet de serre mondiales a déjà cru de 6,7% en 2019 à 7,8% en 2023.
Pour résoudre cette équation, les acteurs énergétiques espèrent une réponse technologique. Par exemple, les projets de nouvelles exploitations sont aujourd’hui typiquement dotés dès la conception de jumeaux numériques, chargés de centraliser l’information mais aussi de mesurer les émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie des futures installations.
En ligne de mire, les émissions de méthane, un gaz à effet de serre qui provient pour un tiers du secteur de l’énergie, et dont l’effet de serre est considéré comme 28 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. Plusieurs majors du secteur, dont le géant public ONGC, ont fait part de leur intention de s’attaquer à leurs émissions de méthane et de réduire par ailleurs des pratiques néfastes comme le torchage du gaz.

Centrale thermique de Thoothukudi en Inde (source : Hassan Afridhi/Unsplash)
La fiabilité des raffineries à la loupe
Autre point névralgique au centre de l’attention gouvernementale : les vingt-trois raffineries du pays. À la différence des pays occidentaux, la croissance de la demande en hydrocarbures provient des consommateurs plutôt que des entreprises. Le développement du pays et l’émergence de la classe moyenne ont en effet fait bondir deux usages principaux : les transports (voitures, motos) et la consommation domestique (notamment pour la cuisson).
Résultat : les raffineries représentent le poumon de l’activité du pays et tout arrêt de fonctionnement peut rapidement engendrer des pénuries. Impossible, par exemple, qu’une opération de maintenance se tienne pendant une période de fête ou un festival, lesquels correspondent à un pic de demande. En octobre 2024, le mois des festivals qui s’achève par Diwali, le festival des lumières, a ainsi induit une consommation de diesel 20% plus élevée qu’en septembre.
Le pays investit donc massivement dans ses raffineries, se plaçant au deuxième rang mondial des investissements en la matière derrière la Chine. Outre l’augmentation des capacités, le but est également d’en assurer la transformation numérique pour assurer une meilleure fiabilité des approvisionnements et la bonne gestion des interventions de maintenance. La raffinerie de Numaligarh, principale installation publique de l’est du pays, a par exemple annoncé la numérisation de l’ensemble de ses processus opérationnels, avec l’ambition de disposer d’un jumeau numérique comme « source unique de vérité » de ses opérations.
Des réglementations environnementales à la hausse
Cette plus grande traçabilité de l’information vise aussi à satisfaire des réglementations qui se développent pour s’aligner sur les standards occidentaux : les distributeurs pétroliers ont massivement investi dans la modernisation des raffineries pour produire du carburant conforme aux normes « BS6 », avec une teneur en soufre réduite (10 ppm contre 50 ppm pour la norme BS4), qui s’aligne sur la norme Euro 6.
Alors que l’Inde joue un rôle de plus en plus important dans l’industrie énergétique mondiale, cet alignement vise un double objectif. Pour les pouvoirs publics, il s’agit de prouver que l’Inde est un acteur majeur de l’énergie, capable de s’aligner sur les meilleures pratiques environnementales et opérationnelles et de desservir le monde entier.
De leur côté, les grands acteurs du secteur - et notamment les géants mondiaux qui y sont de plus en plus présents en Inde - espèrent montrer qu’il existe une voie alternative au déclin des énergies fossiles et à leur remplacement par les énergies renouvelables.
Avec la demande croissante de sa population et de son économie, son gigantisme géographique et ses usages difficiles à remplacer par l’électricité – les véhicules électriques ne représentent par exemple que 2,5% des ventes de voitures neuves –, l’Inde connaît des défis énergétiques significatifs. Pour y répondre, elle entend incarner le parfait laboratoire de la « diversité énergétique », où coexistent durablement les énergies fossiles et renouvelables, comme alternative à la transition énergétique.