
Directeur des Affaires publiques et de la communication, Alpiq
Le passage au pas de 15 minutes dans les marchés électriques s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du paquet européen « Énergie propre », avec l'objectif d’améliorer l’intégration des énergies renouvelables, la flexibilité du système électrique, et l’harmonisation des marchés à l’échelle européenne.
Ainsi, le Règlement européen 2017/2195 « Guideline on Electricity Balancing » (EBGL) prévoit une harmonisation à 15 minutes au niveau européen du règlement des écarts, à savoir le mécanisme qui incite les acteurs électriques à s’équilibrer. L’article 8 du Règlement européen 2019/943 sur le marché intérieur de l’électricité prévoit quant à lui que les produits de marché doivent être conçus pour faciliter la participation de toutes les ressources, y compris les énergies renouvelables, et permettre une granularité minimale de 15 minutes.
Pour mettre en œuvre ce changement, les réseaux électriques européens (ENTSOE) ont fourni un certain nombre de recommandations techniques pour le passage à une granularité de 15 min pour l’échange de données et l’équilibrage. En France, le régulateur avait accordé une dérogation pour décaler ce passage au 1er janvier 2025, date limite prévue par les règles européennes, afin d’assurer une transition optimale.
Le passage des marchés journaliers (Day-Ahead ou spot) à 15 minutes devrait intervenir à l’automne 2025.
Le phasage progressif de ce changement s’effectue par étapes : le passage au pas de règlement des écarts 15 minutes (ISP – Imbalance Settlement Period – 15), à savoir la granularité à laquelle les responsables d’équilibre (acteurs centraux du système électrique) doivent s’équilibrer, a bien été effectué le 1er janvier 2025. La mise en service de produits 15 minutes sur le couplage de marché infra-journalier a été effectué courant janvier 2025(1). Le passage des marchés journaliers (Day-Ahead ou spot) à 15 minutes devrait intervenir à l’automne 2025. Tandis que le passage à 96 guichets de programmation pour les acteurs (permettant aux acteurs de redéclarer leurs programmes et offres d’ajustement toutes les 15 minutes) et pour les interconnexions (permettant les échanges transfrontaliers jusqu'à une heure avant le temps réel pour l'ensemble des pas de temps de 15 minutes) s’appliquera lui au 1er janvier 2026.
Pour résumer, les enjeux derrière ce changement en apparence technique sont de plusieurs ordres.
Techniquement, des données actualisées toutes les 15 minutes permettront un alignement plus précis de la production et de la consommation d'énergie, ce qui devrait contribuer à réduire les déséquilibres et à renforcer la fiabilité du réseau. En filigrane, ce changement devrait permettre une meilleure intégration des énergies renouvelables : un pas de temps plus court permet de mieux suivre la production réelle de l’éolien ou du solaire, par nature intermittent.
Economiquement, ce nouveau pas de temps permettra de disposer d’un signal prix qui reflètera mieux les conditions de marché en temps réel, incitant les acteurs à s’adapter plus efficacement. Il permettra une meilleure optimisation du marché européen interconnecté en facilitant le couplage des marchés et en réduisant les barrières techniques.
Pour les acteurs de marchés, ce passage à 15 minutes nécessite de relever plusieurs challenges. Cela implique évidemment la refonte des contrats et des produits de marché, notamment sur les marchés de gros (ex : journalier, infra-journalier) ou dans le cadre des mécanismes de soutien (le complément de rémunération pour les énergies renouvelables par exemple).
Pour cette étape clé, des retards de préparation technique de certains NEMOs (Nominated Electricity Market Operators) ont impliqué un décalage de la bascule des marchés journaliers à 15 min du 11 juin au 30 septembre 2025. Fournisseurs, agrégateurs, opérateurs doivent quant à eux modifier leurs outils pour gérer des données à 15 minutes au lieu de 30 ou 60 minutes. Concrètement, il leur faut adapter les prévisions de consommation des clients au pas 15 min, construire une courbe de prix au pas 15 min et avoir des systèmes d’information recalés au pas 15 min.
Reste que, comme cela avait été identifié par les analyses coûts-bénéfices qui ont préfiguré le choix du passage à 15 minutes, « les bénéfices attendus de la réforme sont majoritairement liés au transfert d’une partie de la responsabilité d’équilibrage de RTE vers les responsables d’équilibre ; et donc liés à une mobilisation plus efficace des réserves d’équilibrage par les responsables d’équilibre plutôt que par RTE ». Cela est loin d’être anodin.
En effet, le changement de normalité du système électrique – à savoir la fréquence accrue d’épisodes de prix négatifs sur le spot et d’écarts négatifs sur les marchés d’équilibrage (mécanisme d’ajustement) – s’amplifie, obligeant RTE à tirer la sonnette d’alarme au printemps 2025. Et de rappeler les obligations qui incombent aux producteurs en matière de programmation et aux responsables d’équilibre lesquels doivent en temps réel « s'efforcer de s'équilibrer ou de contribuer à l'équilibre du système électrique » selon le règlement européen.
En définitive, si la mise en œuvre du passage au pas de 15 minutes est une réponse aux objectifs de l'UE en matière d'intégration des énergies renouvelables et d'harmonisation du marché, elle prépare surtout le terrain pour un système énergétique plus résilient, plus dynamique et plus réactif à l'avenir. Aux acteurs d’en saisir toutes les potentialités.