Vers un « compromis historique » pour l’hydraulique français ?

Jacques Percebois – Professeur à l’Université Montpellier I

Professeur émérite à l’Université de Montpellier
Fondateur du CREDEN
Auteur de l’ouvrage « Les prix de l’électricité. Marchés et régulation », Presses des Mines

L’électricité hydraulique représente en France 25,6 GW et 13 à 14% de la production d’électricité. Sur cette puissance, EDF possède 20,8 GW (soit 81%), la CNR (Compagnie Nationale du Rhône) 4,1 GW et la SHEM (Société Hydraulique du Midi) 0,8 GW. 

Le système des concessions contesté par Bruxelles

Le système actuel est celui de la concession de service public : l’État est le propriétaire des ouvrages mais en a concédé l’exploitation à ces opérateurs, pour une longue durée (30 ans et plus), moyennant le respect de clauses de service public inscrites dans un cahier des charges. Les barrages ne servent pas seulement à produire de l’électricité. Ils participent à la régulation des cours d’eau et à l’utilisation de cette eau pour l’irrigation et le tourisme ; cela en fait des installations très stratégiques, donc très convoitées. 

Cette électricité à deux vertus : elle est décarbonée et pilotable ce qui suscite l’intérêt des concurrents d’EDF lorsque les concessions sont échues et doivent, selon le droit européen actuel, être ouvertes à la concurrence. Beaucoup de concessions détenues par EDF sont arrivées à échéance depuis plusieurs années et auraient donc dû, selon la Commission européenne, être ouvertes à la concurrence, ce que la France rechigne à faire au nom de la préservation de l’intérêt national pour des installations aussi stratégiques. 

La Commission considère que le système français actuel constitue une « barrière à l’entrée » pour les concurrents d’EDF. Notons que les installations de la CNR ne sont pas aujourd’hui concernées puisqu’une loi de 2022 a prolongé jusqu’en 2041 la concession unique que gère cette société (dont le capital est détenu à 49,97% par Engie, à 33,2% par la Caisse des Dépôts et Consignations, le solde étant la propriété de diverses collectivités territoriales). 

Le conflit qui oppose la Commission européenne à la France depuis de nombreuses années sur le devenir des concessions échues semble aujourd’hui proche de s’apaiser(1), suite à la publication du rapport parlementaire Battistel-Bolo(2). Faute de mettre aux enchères les concessions échues, quelle solution retenir ?

Il n’est pas question de créer un « ARENH hydraulique », solution envisagée récemment par certains, et qui aboutirait à vendre une partie de l’électricité produite aux concurrents d’EDF à un prix régulé sur une longue période. L’expérience malheureuse, pour le nucléaire, d’un prix régulé qui n’a pas donné lieu à revalorisation entre 2012 et 2025, faute d’une publication des décrets d’application de la loi Nome, et contrairement à ce qu’avait préconisé la Commission Champsaur, semble avoir conduit à écarter cette option. 

Plusieurs questions à trancher

On semble s’orienter vers la substitution du système de l’autorisation à celui de la concession, avec conjointement la mise en place d’un mécanisme de VPP (Virtual Power Plants). Mais plusieurs questions doivent encore être tranchées dans le compromis qui se dessine :

  • L’autorisation sera-t-elle donnée après mise en concurrence des exploitants ? Si oui, on retrouve le même problème qu’avec la mise en concurrence des concessions. On peut certes opter pour des durées d’exploitation plus courtes pour l’autorisation et prévoir des conditions de réversibilité. Mais si la durée d’exploitation accordée est de plusieurs décennies et la réversibilité difficile, on se trouverait face à des « barrières à la sortie » dans la branche.
     
  • L’autorisation donnera-t-elle lieu à transfert de la propriété des ouvrages de l’État aux exploitants ? C’est en principe ce qui devrait se faire. Si c’est appliqué, comment se fera la valorisation des ouvrages ? Une vente à un prix modeste pourrait être considérée comme une aide d’État. On peut envisager un transfert partiel de propriété, une partie du capital restant entre les mains de l’État (via de la Caisse des Dépôts), comme pour la CNR. Peut-on envisager une autorisation sans transfert de propriété ? Ce serait une concession déguisée, affirment certains.
     
  • L’autorisation pourra-t-elle être attribuée aux seuls exploitants actuels ? Cela semble difficile sans contreparties. D’où la proposition d’obliger l’exploitant à mettre une partie de la production à la disposition de ses concurrents sous forme de VPP. Mais il faut éviter de changer la gouvernance des barrages à un moment où l’hydraulique va constituer un facteur de plus en plus fort de flexibilité de l’offre d’électricité. Le bénéficiaire d’un VPP disposerait, en contrepartie, d’un droit de tirage sur une partie de la production mais, à la différence du système de l’ARENH, la vente des MWh se ferait sur la base du prix du marché et non à un prix régulé. Ainsi, en l’espèce, EDF devrait céder 6 GW à ses concurrents (soit 29% de sa capacité hydraulique) mais cela lui permettrait en contrepartie de pouvoir enfin procéder à des investissements nouveaux sur les ouvrages actuels, ce que l’exploitant ne pouvait pas faire faute de solution juridique acceptable. Ces investissements devraient permettre à l’opérateur historique de disposer à terme de 4 GW supplémentaires de puissance pour une dépense de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros.

Quelle que soit la solution retenue, elle devra être validée par une loi. Comme « le diable est dansles détails » il faut attendre des précisions sur cet accord, historique à bien des égards pour se prononcer. Évitons de faire avec l’hydraulique l’erreur qui a été faite avec la turbine Arabelle : céder à l’étranger une technologie stratégique pour la racheter ensuite quand on se rend compte que c’était une erreur.

Barrage hydroélectrique de Tignes géré par EDF (©Bernard Gaetan)

Barrage hydroélectrique de Tignes géré par EDF (©Bernard Gaetan)

Les autres articles de Jacques Percebois

Commentaire

BERNARD
Compte tenu du contenu de cet "accord" et du niveau technique et financier de nos décideurs, ce contrat apparaît déjà comme un marché de dupe...
Hervé
L'hydraulique de lac cumule les vertues d'être mobilisable trés rapidement (quelques minutes) tout en ayant un combustible "gratuit". En consequence ca peut être utilisé comme un facteur apaisant du marché spot. Donner les clés de ces centrales à des speculateurs permettrait "aux copains" des politiciens de s'en mettre plein les poches... La question est donc de savoir quand les compétiteurs vont faire valoir leurs droits? quand il fait du soleil et du vent et que les reservoirs débordent avec un MWH sous les 10€ ou quand le MWH se négocie à plus de 500€ ??? La mise en place du marché de l'electricité devait faire baisser les factures, force est de constater qu'elles explosent. ça ne marche pas. C'est un échec. Il faut revenir au monopole dirigé par des ingénieurs missionnés pour un objectif précis: fournir aux francais une électricité abondante et peu couteuse en privilegiant les solutions "made in france".
jcg31
D'accord avec Hervé, la pseudo-concurrence a fait suffisamment de dégâts. L'hydraulique est une ressource stratégique pour la transition énergétique et l'utilisation de l'eau, elle doit être gérée dans l'intérêt général (comme l'ensemble des moyens de production d'énergie) et non dans celui du "business", et ce dans le cedre d'un service public. On doit retrouver d'urgence un vrai service public national de l'énergie avec un EDF ressourcé. Les barrages de lac doivent rester dans le giron public, rester propriété de l'Etat et être gérés par EDF. C'est un patrimoine national construit par la France après 1945, on ne va pas les vendre à la découpe. Y en a marre des injonctions débiles de la CE au nom de la soit-disant concurrence, qui ne répondent pas aux besoins du plus grand nombre mais qui gavent toujours plus les financiers privés (cf éolien, etc ...). Il faut taper du poing sur la table et affronter la CE (on aurait dû le faire depuis longtemps), quitte à provoquer un clash majeur à l'echelle européenne : dans ce domaine c'est la France qui décide et pas la CE. Idem pour chacun des 27. Et la France pèse, c'est le deuxième pays européen, et d'autres pays peuvent nous rejoindre. Donc, pas de nouveau "compromis" pourri, décidons souverainement dans l'intérêt de l'écrasante majorité des citoyens Français.
Christophe
Je comprends votre réponse. Toutefois, je vous invite à la compléter en répondant aux questions suivantes : Comment fait-on pour motiver l'opérateur à la performance ? Dit autrement, quelle garantie donne-t-on aux français qu'EDF fera le mieux pour l'intérêt général ?
Hervé
C'est une trés bonne question! Par ailleurs le sujet est même plus large car il y a aussi le coté social: aux USA et dans de nombreux autres pays ou de multiples compagnies se partagent le marché, l'electricité n'a pas le même prix en fonction de l'endroit ou vous habitez, en France si! Emmener l'energie à chaque maison avec une bonne qualité a un cout que tout le monde paie. C'est un choix politique discutable. * Du temps du monopole, le cout du Kwh était plutot haut au regard de certains pays (environ 0.1€TTc le kwh pour le particulier), mais le même partout en France (et outre mer) pour une trés bonne qualité de service. (C'est encore le cas, mais probablement plus pour longtemps...) Actuellement depuis le passage au marché, c'est environ 0.2€ soit le double... Pourquoi? En partie par l'inflation, mais aussi à cause des politiciens qui se sont mélés de la question (entre autres, arroser leurs copains coute trés cher... et pour trouver un politicien qui comprends qq chose, faut chercher... Un politicien c'est comme une poule dans un troupeau, ça suit les camarades et si le renard arrive ça fait n'importe quoi) et d'autre part parceque du temps du monopole, les ingenieurs et techniciens qui concevaient le réseau avaient une vision d'ensemble et essayaient d'optimiser les choses, ce qui compensait en parties les aberrations et biais intrinseques aux monopoles étatiques. Actuellement les plans de développement ressemblent à "du grand n'importe quoi",ça part dans tous les sens, couts énormes pour faire des doublons qui n'ont aucun interet... De plus ça fait longtemps que les travaux sur le systeme sont opérés par le privé, le monopole ne servait plus qu'a organiser les choses, la réalisation des travaux importants répondait au marché et comme la production fonctionne toute seule, le personnel du monopole était moins nombreux et bien que relativement mieux lotis que les autres salariés, cela ne pése que trés partiellement sur le cout total. * Pour assurer un gros transport, un grand bateau commandé par un bon pilote compétent sera plus performant qu'une multitude de petits bateaux navigants au grés du vent et se disputant les bénéfices. Les monopoles sont rarement performants, mais l'électricité est l'exception qui confirme la régle... Fusse t il avoir le pilote compétent...
Christophe
Merci pour votre message, mais je n'ai pas vu les réponses à mes questions
jcg31
La meilleure garantie est donnée par l'histoire, le service public EDF a été l'acteur essentiel de la construction du système électrique en France depuis 1945, fournissant à tous une éléctricité abondante, bon marché et de bonne qualité, avec notamment ses réacteurs nucléaires et ses barrages hydroélectriques, et une stratégie industrielle innovante et efficace, reconnue comme telle au plan international.
Christophe
Merci je comprends votre raisonnment. Mais il est commun de dire qur l'histoire ne pouve rien, tout juste donne-t-elle un exemple, d'où la question suivante : Le plan Messmer est-il reproductible ? En particulier, comment finance-t-on la construction des EPR 2 ?
OGES
Et comment décider de nouveaux barrages qui pourraient bien être utiles ? Les écolos sont-ils pour car c'est de l'énergie propre
Hervé
Comme toute installation humaine, il y a des impacts environnementaux (positifs et négatifs). Les vrais écolos sont plutot pour, les escrolos (traduire par: politicien écologiste) sont contre, surtout contre les plus petites installations, celles qui ont le moins d'impact...
Albatros
Et surtout éviter de confier l'avenir stratégique du pays à des petits hommes gris ou rose, comme les écolos-saboteurs destructeurs de la filière nucléaires ou comme le socialiste Macron, en réalité le "bébé" de Hollande, présenté alors par ce dernier comme un génie. L'énergie est un sujet trop sérieux pour être confié à des idéologues incultes technologiquement et scientifiquement issus de "Sciences-Po".
Eric
bonjour, qu'entendez-vous par performance : - amélioration des volumes de production ? - compétitivité du prix du MWH ? - gestion de la politique d'investissement sur le long terme ?

Ajouter un commentaire

Sur le même sujet