Loin de la sécurité énergétique, l’étrange politisation de l’AIE

Dominique Finon

Directeur de Recherche émérite au CNRS 
Ancien chercheur associé de la Chaire European Electricity Markets (Université Paris-Dauphine) et du CIRED (Pont ParisTech & CNRS)
Ancien président de l'Association des économistes de l'énergie (FAEE)

Créée en 1974 après la première crise pétrolière, l'Agence internationale de l’énergie (AIE) a toujours eu pour mission principale de veiller à assurer la sécurité de l'approvisionnement en pétrole et de gaz naturel des pays membres en cas de crise, de préparer la sécurité du moyen-long terme en exerçant une veille prospective des tendances mondiales et de conseiller les gouvernements pour leur politique énergétique. Mais, depuis 2021, l'AIE a ajouté à ces missions la défense active du climat en soutien aux négociations internationales, en élaborant des analyses prospectives et des recommandations, qui tendent à entrer en conflit avec sa mission principale. 

Pour préparer la COP26 de Glasgow et à la suite du rapport spécial du GIEC sur le « + 1,5°C » de 2020, l'AIE a réalisé en 2021 à la demande du Royaume Uni, le scénario « Net Zero Emissions by 2050 (NZE) » pour éclairer la façon dont on pourrait arriver à ce net zéro. À la suite de quoi, elle indiqua de façon très controversée que, selon ce scénario, « il ne serait plus pas nécessaire d'investir dans de nouveaux projets de production de combustibles fossiles ».

Deux ans plus tard, a l’approche de la COP28 à Doha en novembre 2023, on a vu son directeur général, Fatih Birol, mettre les points sur les i dans les médias à propos de tout nouveau projet pétro-gazier et sur l’ « idée fausse » selon laquelle le gaz naturel serait une énergie de transition.

Dans le prolongement de ce message, l’AIE n’a eu de cesse chaque année d’annoncer l’imminence des pics de demande de pétrole, du gaz naturel et du charbon avant l’horizon 2030 dans ses prévisions de court terme en laissant croire que suivra un déclin rapide de la demande mondiale, ce que rien ne laisse prévoir, comme on le verra. 

Si les suggestions ou les injonctions de l’AIE sont suivies, ce qui est possible au vu de l’influence de ses analyses sur les gouvernements, les énergéticiens et les investisseurs, la sécurité énergétique mondiale sera mise à mal. Le risque est grand de voir se créer un déficit d’approvisionnement en pétrole et en gaz tant qu’il y aura une demande soutenue. De profondes tensions économiques et politiques se créeront au niveau international, avec des crises récurrentes de prix qui compromettront les espoirs de croissance des économies émergentes et en développement. Considérons ces différentes dérives.

Un mauvais usage de la prospective normative

L’AIE a transformé le scénario NZE en « feuille de route impérative », alors qu’il ne s’agit que d’un exercice de prospective normative, par essence irréalisable. La médiatisation du sujet a instantanément conduit à une déformation du sens de cet exercice, comme le montre l’écho rencontré auprès de grands journaux de référence à la publication du rapport en mai 2021(1). Le Financial Times titrait « Energy groups must stop new oil and gas projects to reach net zero by 2050, IEA says », et Le Monde « L’Agence internationale de l’énergie appelle à ne plus investir dans de nouvelles installations pétrolières ou gazières ». 

La présentation des recommandations de l’AIE comme une évidence incontestable ont conduit à une simplification caricaturale des possibilités de réduire les consommations des combustibles fossiles en commençant par réduire l’exploitation des ressources en terre. Les militants du climat ont même interprété l'observation de l'AIE sur l’inutilité de poursuivre les investissements en production de pétrole et de gaz comme un plaidoyer en faveur de l'interdiction de nouveaux investissements(2).

L'AIE s’est bien gardé de faire de la pédagogie sur la nature de son exercice et d’apporter des éclaircissements sur ses conclusions. Dans un exercice de prospective dite normative - qui se différencie radicalement de la prospective exploratoire -, on part de l’objectif à atteindre et on remonte toutes les étapes nécessaires pour y arriver en jouant de toutes les possibilités techniques, même les moins faisables économiquement, socialement et politiquement, que ce soit dans les pays développés ou ceux du Sud, et sans se préoccuper de leurs pertinences. Dans les modèles à la base du scénario NZE, on postule ainsi l’existence d’un régulateur mondial et de régulateurs nationaux qui disposeraient d'un joystick tout puissant qui leur permet de manœuvrer les ressources, le choix des agents, les infrastructures à mettre en place, les innovations à développer en disposant de ressources budgétaires infinies et de mesures coercitives puissantes. 

S’abstenir de toute explication sur le moment(3) revient à faire accroire que le scénario NZE serait faisable et à des coûts contrôlables. L’AIE n’explique pas non plus que la demande de pétrole et de gaz doit se réduire très rapidement pour aboutir au NZE (dès les années 2020, il faut que la demande de pétrole se réduise de 25% d’ici 2030) et que c’est uniquement sous cette condition que le développement de nouveaux gisements ne serait plus nécessaire.

On peut défendre l’intérêt de faire un tel scénario normatif, car cela permettrait de mettre en lumière les grandes difficultés à atteindre le Net Zéro dès 2050. Mais ce n’est pas tant de difficultés qu’il s’agit de surmonter que de l’impossibilité intrinsèque d’infléchir rapidement l’ensemble du système énergétique mondial, du fait des inerties structurelles et de la croissance des besoins d’énergies fossiles des pays du Sud qui accompagne leur développement économique, industriel et social. 

Un scénario intenable(4)

Il faut en effet supposer des évolutions radicales des technologies, des systèmes socio-techniques et de multiples actions sur toutes les infrastructures (électricité, logements, transports, urbanisme, etc.) pour arriver aux réductions radicales de la demande d’énergie fossile d’ici 2050. 

On citera plus particulièrement deux suppositions. Concernant la mobilité et les transports routiers, l’AIE suppose qu’il n’y a plus de ventes d’automobiles thermiques neuves au plan mondial à partir de 2035, même dans les pays du Sud, et pour les camions à partir de 2040-45. Dans le domaine des industries productrices de produits de base indispensables aux économies (sidérurgie, ciment, plastique, engrais, etc.), l’AIE suppose pour tous les pays une conversion rapide des procédés aux alternatives non fossiles (électricité, hydrogène vert, etc.) et au décollage rapide du captage et stockage du CO2, alors que les nouvelles technologies ne sont pas encore disponibles pour les remplacer à grande échelle. 

Il faudrait que les demandes de pétrole et de gaz soient réduites des trois quarts et celle de charbon de 90% en vingt-cinq ans pour suivre le scénario NZE d’ici 2050, alors que la part des fossiles dans le bilan énergétique mondiale ne s’est pratiquement pas réduite depuis l’accord de Kyoto. Entre 1995 et 2022, elle n’est passée que de 87% à 82%, malgré les investissements impressionnants dans les renouvelables.

Pour Vaclav Smil, le grand historien des transitions énergétiques(5), « les transformations de systèmes complexes, interdépendants et massifs est un effort multidimensionnel qui s’étendra sur des générations ». Les « variables d’échelle et de complexité » et les « inerties infrastructurelles » jouent un rôle très important en contraignant les possibilités d’évolution des grandes industries émettrices, des modes d’urbanisation et de transport, des consommations de l’ensemble des ménages. De plus, derrière la rigidité du lien entre la demande mondiale d’énergie fossile à long terme et le PIB mondial, il y a le besoin croissant d’énergie des économies émergentes et en développement au fur et à mesure de leur développement industriel et de la croissance de leurs classes moyennes. 

Pour juger de l’irréalisme des résultats du scénario normatif du NZE, on peut se référer au scénario STEPS (State Policies Scenario), produit également par l’AIE mais défini sur la base des politiques annoncées par les gouvernements. Dans le World Energy Outlook (WEO) de 2023, ce scénario (qui est le plus ancré dans le réel parmi les scénarios qu’elle réalise chaque année(6)) montre qu’avec les mêmes hypothèses de croissance économique sur 2020-2050, la décroissance très rapide de la demande de fossiles d’ici 2050 dans le scénario NZE est une vue de l’esprit. 

Les politiques simulées permettent seulement une stabilisation de la demande de pétrole autour du niveau de 104 Mb/j (millions de barils/jour) jusqu’en 2030, puis un très lent déclin vers 95 Mb/j en 2050. De même la demande de gaz naturel ne décroît que très peu pour arriver seulement à 4 000 milliards de m3 en 2050 (contre 4 150 Mds de m3 en 2023). Une des raisons est l’intérêt porté aux centrales à gaz flexibles qui servent à compenser la variabilité des productions des ENR qui occuperont une place de plus en plus importante. Seul le charbon peut connaître une décroissance significative avec la fermeture progressive des centrales en fin de vie. Mais la consommation de charbon en 2050 n’en représente pas moins la moitié du niveau de 2023. 

Figure 1. Le maintien de la présence des combustibles fossiles d’ici 2050 dans le scénario STEP (Source. IAE. World Energy Outlook 2023, p.26)

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La sécurité énergétique mise à mal 

Le problème est que les scénarios prospectifs de l’AIE, ses perspectives annuelles, ainsi que ses prévisions de court-moyen terme sont très influentes sur les gouvernements, les compagnies énergétiques et les investisseurs. Ils s’appuient sur l'Agence en tant que source fiable d'informations sur l'énergie mondiale pour élaborer leurs politiques et leurs stratégies. Le World Energy Outlook est devenu une référence pour les décideurs politiques. Les annonces de l’AIE ont des effets importants sur la perception que les investisseurs financiers ont du risque de coûts échoués auxquels ils s’exposent en finançant les nouveaux projets des compagnies pétrolières. La majorité des grandes banques ont utilisé le scénario NZE pour élaborer leurs règles de prêt afin de s'aligner sur l'accord de Paris (c'est ainsi que BNP Paribas et Barclays ont décidé de ne plus accorder de financement aux projets de développement de gisements de pétrole et de gaz).

En influençant les investisseurs pour qu’ils se détournent des projets pétro-gaziers et en encourageant des activistes du climat à demander l'interdiction de développement de nouveaux projets pétro-gaziers, l’AIE qui a été créée pour protéger les pays consommateurs contre les crises énergétiques contribue de facto à faire en sorte que la prochaine ait lieu prochainement et durablement. Si nous cessons d'investir dans le pétrole et de gaz avant d'arrêter d'en consommer, soit les prix montent en flèche, soit les compagnies pétrolières nationales des pays de l’OPEP tout simplement leur offre.

 

Imaginons en effet que, dans un grand élan planétaire, tous les acteurs pétro-gaziers (majors, indépendants, compagnies nationales des pays producteurs, compagnies publiques internationalisées comme les entreprises chinoises) répondent à l’injonction de renoncer à tout investissement en exploration-production et en infrastructures d’exportation. La production mondiale sera rapidement insuffisante pour satisfaire la demande de pétrole et de gaz avant même que l’effet de l’absence d’investissement pour renouveler les capacités se manifeste(7). Cette baisse de l’offre aura pour conséquence de propulser les cours du pétrole et de gaz à des niveaux élevés, avec des effets récessifs importants sur les économies des pays importateurs. La demande sera toujours là sans que l’offre ne puisse répondre aux hausses de prix par le développement de nouvelles capacités. 

 

Dans l’hypothèse où la coercition climatique(8) - médiatique, judiciaire, actionnariale et politique - ne s’exerce que sur les Big Oils qui ne produisent que 13% du pétrole mondial et ne détiennent que 12% des réserves mondiales, les autres producteurs de pétrole qui sont moins soumis aux pressions ne manqueront pas d’investir dans de nouvelles capacités. C’est plus particulièrement le cas des États du Golfe qui disposent de ressources très bon marché. Ils verront leurs parts de marché augmenter rapidement, ce qui leur conférera un pouvoir de marché renforcé et leur donnera un poids géopolitique considérable. La sécurité énergétique n’en sortira certainement pas renforcée.

Une perception faussée des pics de demande d’hydrocarbures

Dans le prolongement de l’impact du message du NZE, l’AIE n’a eu de cesse par la suite d’annoncer chaque année l’imminence des pics de demande de pétrole, du gaz naturel et du charbon avant l’horizon 2030 dans ses prévisions de court-moyen terme. Et elle le fait de telle façon qu’elle laisse croire que suivra un déclin rapide. Le fait de fausser le message de ses prévisions sur le pic de la demande de pétrole perpétue le mythe selon lequel il n'est pas nécessaire d'investir davantage dans de nouveaux gisements de pétrole et de gaz. Ses annonces sont démenties par les analyses prévisionnelles des grands cabinets d’experts comme Wood MacKenzie, sans parler du Secrétariat général de l’OPEP, autre grande source de prévisions pétrolières. 

En 2024 le premier prévoit un pic à 108 Mb/j en 2032 puis un lent ralentissement vers 90 Mb/j en 2050, tandis que l’autre avait une estimation de 103,4 Mb/j en 2030 suivi d’un plateau légèrement croissant vers un pic de 116 Mb/j en 2045.

Tableau 1. Comparaison des prévisions à moyen et long terme de demande mondiale de pétrole de l’AIE, WoodMackenzie et le secrétariat de l’OPEP

 

Prévisions 2030

Pic de demande

Demande en 2050

AIE scénario NZE

77 ,5 Mb/j

102 Mb/j en 2025

24 Mb/j

AIE scénario STEPS

104 Mb/j

104 Mb/j en 2030

95 Mb/j

Wood Mackenzie

104 Mb/j

108 Mb/j en 2032

90 Mb/j

OPEP Secrétariat

103,4 à 108 Mb/j

116 Mb/j en 2045

 nd

Note : La consommation mondiale en 2024 sera de 102,8 Mb/j. Sources : IEA, 2021. Net-zero-emissions-by-2050-scenario; IEA, 2023. World Energy Outlook 2023.
Wood Mackenzie, 2023. Energy Transition Outlook. https://www.woodmac.com/press-releases/energy-transition-outlook-2023/
OPEC, 2024. World Oil Outlook (WOO). https://publications.opec.org/woo/chapter/129/2354.

Il est intéressant de constater aussi que le narratif de l’AIE sur les pics de demandes est démenti par les projections de son propre scénario STEPS dans ses World Energy Outlook (WEO) annuels. Il n’y figure que des pics « cosmétiques », auxquels succèdent des plateaux très peu inclinés (voir figure 1 précédemment). Une telle façon de communiquer permet d’entretenir l’illusion que la tendance au déclin est enclenchée et suggère qu’investir en production est risqué alors qu’il n’y aura rien de plus qu’une stabilisation de la demande mondiale. L’AIE parvint à entretenir la perception des médias en ce sens. 

Dans le dernier WEO publié en octobre 2024, l’AIE change de fusil d’épaule pour retourner l’argument du risque de hausse de prix qu’avancent les pétro-gaziers. Elle prévoit un ralentissement de la croissance annuelle de la demande de pétrole d’ici 2030 au niveau de 1% par an (au lieu de 2% prévu antérieurement) et anticipe un excédent de capacité de production de 8 Mb/j à cette date. En conséquence, elle conseille aux compagnies pétrolières « de s’assurer que leurs stratégies et leurs plans commerciaux soient mieux préparés à faire face aux changements en cours » et à la longue période de bas prix du pétrole qui résultera de la surabondance prochaine.

De nouveau les financeurs sont alertés sur le risque de coûts échoués pour les investissements en train d’être faits de façon imprudente(9). L’entêtement de l’AIE à prophétiser l’imminence de pics prononcés de demande relève clairement de son projet militant de décarbonation accélérée. Elle produit des prévisions de demande pétrolière orientées, où se lit son souhait de voir la demande d’hydrocarbures (et de charbon) cesser de croître pour décliner rapidement.

Conflit entre le héraut de la lutte climatique et la vigie de la sécurité énergétique

L’AIE a fait basculer sa mission principale vers la lutte contre le changement climatique en se légitimant par l’utilité qu’il y a de fournir à ses dix-neuf pays membres et aux treize pays associés des orientations pour cheminer vers la décarbonation de leur économie et de leur système énergétique. « Tous ces pays sont demandeurs d’une tel guidage (guidance)» se défend son directeur général(10). Mais de là à guider les grands acteurs du jeu énergétique mondial vers des choix très discutables mettant en question la sécurité énergétique mondiale, il y a un fossé. 

L’AIE légitime aussi l’infléchissement de ses activités parce que le changement climatique affectera aussi la sécurité énergétique en augmentant les phénomènes extrêmes qui affecteront les infrastructures et équipements énergétiques et créeront par là beaucoup d’incertitudes sur les marchés. 

Un des défenseurs de l’évolution de l’Agence, Jason Bordoff, directeur du Center on Global Energy Policy de Columbia University(11), argue aussi que « ce serait bien pire pour la sécurité énergétique, au cœur de la mission de l'AIE, de ne pas produire les données nécessaires et de ne pas chercher à comprendre ce qui est réellement nécessaire pour atteindre l’objectif extrêmement ambitieux (de ne pas dépasser le +1,5°C) et à quel point il est difficile d’atteindre. Il faut comprendre ce qui est réellement requis pour relever le défi climatique ». Mais, encore une fois, pourquoi faut-il faire du NZE la référence de ce qu’on doit faire, alors que les recommandations qu’on peut en déduire sont impossibles à suivre ? Peut-on aussi faire confiance à des prévisions de moyen terme qui sont trop marquées par un biais de confirmation de leurs auteurs ?

En dehors de la profession pétrolière et des États exportateurs très directement concernés, l’évolution de l'AIE a provoqué des critiques sur sa politisation, notamment de la part de responsables américains qui dénoncent son éloignement de sa mission principale. Les présidents des deux commissions de l’énergie des chambres du Congrès(12) ont récemment rappelé par lettres au directeur général de l'AIE, que la mission de l'Agence est d'abord de veiller à assurer la sécurité de l'approvisionnement en pétrole et de gaz naturel des pays membres. 

Ce qu’a fait aussi un ancien conseiller énergie du président George W. Bush, Bob MacNally, dans une tribune remarquée dans le Wall Street Journal du 12 février 2024(13). Il écrit : « [L’AIE] biaise son analyse avec ses scénarios prospectifs orientés pour encourager les investisseurs à parier sur des futurs illusoires en se détournant des investissements fossiles, alors que de telles recommandations conduisent à exposer les consommateurs à des flambées des prix du pétrole. (…) Son positionnement idéologique l’amène à ignorer la dynamique réelle des demandes de pétrole et de gaz, qui n’ont pas cessé d'augmenter ces quinze dernières années ». 

Le problème est que le narratif que l’AIE a développé à partir du scénario normatif NZE influence non seulement les investisseurs pour le financement des projets pétro-gaziers dans le monde, mais aussi les gouvernements qui se réfèrent au scénario NZE pour prendre des décisions très discutables. C’est le cas par exemple du refus de l’Administration Biden d’autoriser la construction de nouvelles infrastructures d’exportation de GNL en février 2024 ainsi que les objectifs très volontaristes aux échéances intenables et aux coûts disproportionnés dans le cadre des Green Deals respectifs de certains grands États américains (Californie, etc.) et de l’Union européenne, que ce soit sur le passage aux véhicules électriques, les renouvelables intermittentes, l’hydrogène vert, l’efficacité énergétique, la rénovation thermique ou encore l’électrification de usages.

 

Pour conclure, l’AIE a une lourde responsabilité dans la construction et la diffusion du récit sur la nécessité de sortie rapide des hydrocarbures et plus largement des fossiles, alors que cette sortie s’écarte par trop des faits et de la réalité des inerties structurelles dont parle Vaclav Smil.

 

Ce récit s’alimente de ses prévisions pétrolières et gazières marquées par son aspiration à voir s’accélérer la décarbonation des systèmes énergétiques. Il est désormais largement partagé par les médias occidentaux et les grandes institutions internationales et européennes qui aiment à diriger les soupçons de la responsabilité climatique vers les entreprises pétro-gazières. Il faut dire que, fort de la légitimité de l’AIE, il renforce l’efficacité des pressions des activistes du climat pour l’arrêt des productions de pétrole et de gaz du jour au lendemain, alors que la demande d’hydrocarbures se maintiendra longtemps à un niveau élevé.

 

Une AIE objective et non militante serait pourtant essentielle pour produire des analyses et des évaluations appropriées des politiques climat-énergie et faciliter la tenue des débats bien informés. Il faudrait que son travail de prospective et de prévision soit effectué sur une base neutre, comme elle le faisait avant 2020, afin que le monde puisse mieux anticiper les possibles et que les décideurs politiques puissent faire leur travail à partir de bases objectives et réalistes. 

 

Il ne s’agit pas de minimiser l’importance de l’enjeu du changement climatique et de prétendre que l'AIE devrait l'ignorer. Au contraire, sur les prévisions liées à l’énergie et au climat, une AIE objective et non militante serait essentielle, comme on vient de le dire. Elle en est capable comme le montre l’expertise qu’elle développe dans les rapports remarquables qu’elle publie sur l’efficacité énergétique, les diverses innovations bas carbone, les supply chains (chaînes d’approvisionnement), l’accès à l’énergie, ainsi que sur l’évaluation des politiques énergétiques des pays membres.

 

Mais on ne saurait terminer sans mentionner les critiques émanant aux États-Unis du camp républicain et de Donald Trump lui-même sur l’orientation problématique qu’a prise l’AIE. À moins qu’elle adopte de façon explicite un code de conduite non militant, il est probable que les États-Unis sortiront de l’Agence internationale de l’énergie après l’investiture de ce dernier, ce qui nuira incontestablement son audience. 

Sources / Notes

  1. https://www.iea.org/reports/global-energy-and-climate-model/net-zero-emissions-by-2050-scenario-nze

  2. https://www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/les-bombes-carbone-une-curieuse-invention-de-scientifiques-lanceurs-dalerte

  3. De timides explications peuvent tout de même être trouvées au détour d’un paragraphe dans le World Energy Outlook de 2022 au détour d’un paragraphe, sans que cela ait vraiment retenu l’attention des commentateurs.

  4. https://www.telos-eu.com/fr/economie/energie/arreter-les-industries-fossiles-en-urgence-est-ce-.html

  5. Voir, entre autres, Vaclav. Smil, 2024, Halfway Between Kyoto and 2050: Zero Carbon Is a Highly Unlikely Outcome. Fraser Institute, British Columbia Universityhttps://www.fraserinstitute.org/studies/halfway-between-kyoto-and-2050.

  6. Le World Energy Outlook explore le paysage énergétique jusqu'en 2050 à partir de trois scénarios, deux scénarios normatifs, le NZE et l’APS/Annouced Pledges Scenario qui simule les effets des engagements climatiques des pays après Paris ; et un scénario exploratoire, le STEPS.

  7. Les productions en exploitation diminueront de 4% par an du fait de la baisse de pression des champs en cours d’exploitation)

  8. Voir Finon Dominique, 2021, « Les compagnies pétrolières face à la coercition climatique ». La Revue de l’énergie. n°658. https://www.larevuedelenergie.com/les-compagnies-petrolieres-face-a-la-coercition-climatique/

  9. Lors de la publication en juin du Oil Market Report de l’AIE avec ce changement de perspective, le FT titrait le 12 juin 2024 :“World faces 'staggering' oil glut by end of decade, energy watchdog warns”.

  10. Voir Financial Times du 5 août 2024 “The IEA's divisive mission to decide the future of oil".

  11. https://www.energypolicy.columbia.edu/recapping-a-respectful-dialogue-about-iea-analysis/

  12. Barrasso & McMorris Rodgers: International Energy Agency has Abandoned its Energy Security Mission, 20 march. Committee on Energy and Commerce (2024), Chairs Rodgers and Duncan Question IEA on Shift Away from Energy Security Mission Towards a Liberal Climate Agenda, Congress of the United States, 3 April.

  13. McNally R. (2024), Climate Politics Neuters an Energy Watchdog, in Wall Street Journal, 12 February 2024; Congress of the United States (2024).

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Commentaire

Philippe
Une prose bien complexe pour défendre en filigrane une décarbonation lente et un soutien renouvelé aux energies fossiles. Si le rôle de l'IAE est de fournir des données objectives pour favoriser la sécurité énergétique, il me semble qu'il n'est pas contradictoire qu'elle milite de façon croissante en faveur de la réduction la plus rapide possible des emissions de GES (et donc des energies fossiles) et qu'elle se serve de ses capacités d'analyse pour montrer ce que ça impliquerait concrètement. La réalité de 2030, 2050 ou 2080 n'est pas celle d'aujourd'hui et aucune estimation ne peut prétendre être amenée à se réaliser, ce futur énergétique dependant en partie de ce qu'il se passera dans l'intervalle. On connait en revanche ce qu'il s'est passé avant 2024, on sait donc qu'une relative raréfaction et le signal prix sont essentiels pour réduire la consommation d'un produit et donc notre dépendance, et qu'on sait le faire relativement vite lorsqu'on n'a pas le choix. L'IAE sait aussi que son conseil de ne plus investir dans les fossiles ne sera pas suivi massivement ni instantanément comme vous semblez naïvement le penser possible. Elle ne met donc pas en danger l'approvisionnement énergétique en le faisant, elle cherche simplement à créer un début d'inflexion. Il est essentiel que la raréfaction et donc le prix des fossiles monte très progressivement pour esperer pouvoir s'en sevrer un jour lointain, et s'en sevrer est indispensable pour espérer maintenir un environnement propice au développement des générations futures et de la vie en général. L'IAE utilise donc son influence pour orienter les decisions vers ce qui lui semble être le bon cap énergétique. Autrement dit : Pas de sécurité durable dans un monde où les énergies fossiles restent abondantes. Dommage que des gens aussi qualifiés que vous utilisent leur talent à défendre le statu quo sous couvert de réalisme.
desbaffes
Il est assez risible de lire :"pourquoi faut-il faire du NZE la référence de ce qu’on doit faire, alors que les recommandations qu’on peut en déduire sont impossibles à suivre?" car, si tout ce qui paraissait impossible, n'avait pas été tenté, nous serions encore dans des grottes. Peut-être vaudrait-il mieux, ceci dit pour l'espèce humaine. En soi, l'AIE ne fait que son métier. Elle est au fait, depuis 2008 que le stock de pétrole conventionnel a été à peu près découvert; et que le pic de production est là. Par conséquent, hormis quelques gaz de roches mère qui ne seront rentabilisés par personne et très peu productifs au regard de ce qui était convenu auparavant; et ce faisant elle envisage de réfléchir et faire réfléchir à une utilisation moindre des fossiles. L'AIE est aussi contrainte de tenir compte des recommendations du GIEC; pour qui les GES étant responsables des disfonctionnements du climat, il serait ingénieux de ne plus en émettre; même si ce sera loin de les régler (les disfonctionnements). Quand elle analyse les ENR comme des augmentateurs de consommation de gaz, elle ne fait pas fausse route; elle appuie simplement là où ça fait mal; et c'est tant mieux. Donc, oui, contrairement à vous, Monsieur, je considère qu'il faut se passer le plus vite possible des fossiles, ce qui est défini par le terme de sobriété; et que faisant cela, on oblige le système financier marchand économique à reprendre sa calculette avec la réalité coome base de départ. Je ne dis pas que ce sera facile pour les personnes habituées à faire de l'argent sans production réellement indispensable à la survie de l'espèce, mais je pense que c'est le seul chemin qui peut être accepté si expliqué correctement et préserver un peu l'humanité des désordres qui sont à nos portes.
Serge Rochain
L'AIE semble surtout certaine que les renouvelables prendront le relai très rapidement
Albatros
Excellent article qui rappelle que l'AIE n'a pas vocation à faire de la politique ni à prendre le parti (pari) de l'écologisme malthusien et doit se recentrer sur sa raison d'être, merci. Cela devrait être aussi le cas de l'ONU, dont la raison d'être qui est de prévenir les conflits (quelle réussite !). Courage à toutes les victimes de l'escrologisme ambiant.
Bertrand Cassoret
La consommation baissera t-elle tant que la production sera abondante et les prix faibles? C'est peu probable. Faut-il attendre (longtemps) que la conso baisse pour diminuer la production; ou faut il encourager la pénurie avec les risques de crise? Effectivement le rôle de l'AIE n'est pas de dicter la politique, mais sa responsabilité est réelle.
jean-Loup Bertaux
La proposition de Dominique Finon d’attendre que la demande en combustibles fossiles descende d’elle-même avant de diminuer la prospection paraît extrêmement hasardeuse pour soigner notre addiction aux fossiles. Si on continue « business as usual », le GIEC prédit + 4° en 2100, +8 ° en 2200 à cause du cumul de CO2 dans l’atmosphère. Monsieur Finon indique avec raison que le stock de fossiles est en quantité limitée. Il est donc certain, que dans le scenario « business as usual » qu’il souhaite perpétuer, un jour, les prix des fossiles grimperont fortement, entraînant la crise qu’il décrit comme étant prochaine : elle sera seulement plus tardive. Sauf qu’en 2100 on sera à +4° au lieu de +2 ° dans le scenario vertueux NZE préconisé par l’AIE. Il vaut mieux donc souffrir un peu maintenant que plus tard, mais beaucoup plus, si on se préocuppe de nos descendants. L’AIE est sur cette ligne, et on ne peut que s’en réjouir. Pour remplacer les fossiles bien commodes mais qui génèrent le CO2, les groupes pétroliers-gaziers ont la compétence pour fabriquer des carburants de synthèse, à partir de bio-masse (Total Energie) ou à partir de capture de CO2 dans l’air. C’est 2 à 4 fois plus cher que les fossiles, mais le cout va baisser, tandis que le cout des fossiles va augmenter. En attendant ce point de croisement, l’énergie va coûter plus cher, on perdra quelques points de croissance. C’est tout de même moins tragique que de mourir de chaud en 2100. Jean-loup Bertaux, ex-Directeur de recherche émérite au CNRS.
Dominique Finon
Réponse aux commentaires de Monsieur Claude Mandil, Directeur Général de l'AIE de 2003 à 2007 (voir C. des E., https://www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/energie-climat-quelques-precisions-sur-le-role-de-laie) Cher Monsieur Mandil Je vous remercie beaucoup de la critique très courtoise que vous faites de ma tribune sur la politisation de l’Agence internationale de l’énergie. Nous pouvons continuer de discuter de cette façon car nous nous situons l’un et l’autre en dehors des camps du Bien et du Mal, bien loin du clivage contreproductif créé autour de la religiosité du climat. Pour vous répondre sur plusieurs points, je souhaite ne pas jouer sur les mots. D’abord ce n’est pas parce qu’elle se préoccupe du changement climatique que je trouve que l’ AIE sort de sa neutralité et son objectivité, mais parce qu’elle tend à verser dans l’activisme climatique : 1. en jouant une petite musique autour de la nécessité de l’urgente sortie des fossiles, qui oriente l’opprobre politique et médiatique vers les pétro-gaziers, et 2. en laissant croire que la réduction des émissions et la sortie des fossiles sont aussi faciles pour les pays qui sont en train de se développer et s’industrialiser que pour les pays développés et riches qui choisiraient de s’en donner les moyens . En conséquence je n’entrerai pas dans une discussion sur la question de savoir si c’est normal ou pas que l’AIE en tant qu’organisation internationale soit politique ou politisé. Il est normal qu’elle soit politique. L’orientation de l’action d’une telle organisation est le reflet des rapports géopolitiques des pays membres avec le reste du monde, et reflète aussi la convergence de leurs intérêts en matière de sécurité énergétique. En second lieu, si je mentionne 2021 comme moment où l’AIE s’est emparé du +1,5°C pour changer la hiérarchie de ses missions en privilégiant la lutte contre changement climatique, ce n’est pas parce que j’ignore que cette mission ait été inscrite progressivement dans son agenda à partir de la fin des années 80. C’est parce que le rapport commandé sur le « Net Zero Emissions en 2050 » à la suite du rapport spécial demandé au GIEC sur le +1,5°C a constitué un déclic dans l’identification excessive de l’Agence à une cause qui a été trop rapidement absolutisée sous la pression des médias et des activistes du climat. Si on lit attentivement le résumé du dernier rapport du GIEC de 2022, ce que très peu de monde ne font, on ne remarque absolument pas une telle absolutisation du +1,5°C en 2100 en terme de probabilité, et on voit qu’il existe au contraire une vraie marge de manœuvre en bonne probabilité, mais c’est une autre histoire. En troisième lieu je n’aurai pas mené ce plaidoyer à charge si, depuis 2021, le directeur général de l’AIE n’utilisait pas systématiquement les médias pour diffuser le récit de l’AIE sur la sortie urgente des fossiles et la proximité de pics de demande abrupts, pour amplifier l’ écho de ce récit. L’impact médiatique très important du message qu’il a voulu tirer du rapport NZE en 2021 lui a sans doute « monté un peu à la tête », si je peux me permettre cet avis. Ayant toujours été très attentif aux questions de géopolitique de l’énergie au cours de ma carrière de chercheur CNRS depuis 1971, je ne me souviens pas avoir vu un directeur général de l’AIE (dont bien sûr vous-même) sortir d’une certaine réserve qui est la garantie de l’objectivité dont doit se réclamer l’Agence, contrairement à ce que fait votre successeur. Peut-être aurais-je dû plutôt faire une tribune personnalisant ma critique, mais elle aurait vite versé dans l’anecdote, car j’aurais dû évoquer les prises de bec incessantes entre le DG de l’AIE et les dirigeants des Etats pétroliers et ceux des grandes compagnies, qui font le délice des médias et des activistes du climat. J’aurais dû aussi chercher à comprendre comment et pourquoi ce haut responsable --qui auparavant était réputé prudent et peu intéressé par les questions environnementales lors de l’exercice de responsabilités successives au sein l’AIE depuis 1995 -- est devenu le héraut de la sortie des fossiles. En quatrième lieu, ne jouons pas non plus sur les mots à propos des scénarios, quand vous critiquez le fait que j’oppose le scénario NZE normatif de l’AIE à son propre scénario STEPS (celui des politiques engagés) qui est exploratoire/prédictif, parce qu’il serait d’une autre nature (comme celui de Wood Mackenzie que j’évoque par ailleurs). Or si je le fais, c’est que (presque) tout le monde les considère de facto de même nature, loin de toute culture prospectiviste, mais pas seulement. C’est aussi dans la méconnaissance, voire l’ignorance volontaire, de la complexité des réalités techniques, économiques, sociologiques, géopolitiques des systèmes énergétiques des divers pays. Il y a donc deux raisons de les opposer: 1. parce qu’à l’AIE et dans tous les bons instituts activistes, on tend plus ou moins explicitement à faire du NZE totalement hors sol, le scénario de référence, car il s’agirait désormais d’ évaluer l’écart avec le scénario moins volontariste des engagements post-Paris (APS) et un scénario exploratoire (ici le STEPS). Avant, dans le WEO 2017 par exemple, on partait du scénario business as usual (le dénommé Current policies scenario/CPS) pris comme scénario de base, pour comparer avec lui le scénario exploratoire NPS de nouvelles politiques énergétiques (l’équivalent de STEPS) et le scénario normatif SDS « Sustainable development scénario » . 2. parce qu’aussi, maintenant, le seul scénario qui se rapproche le plus de la réalité des faits et des contraintes pesant sur les systèmes énergétiques des divers pays est le scénario STEPS. Au passage on peut regretter qu’il n’y ait plus de scénario CPS, sachant que les politiques prises en compte dans le STEPS peuvent être abandonnées, comme on le voit en France avec la taxe carbone après l’épisode de gilets jaunes, et partout avec la suppression rapide des subventions aux véhicules électriques. Finalement le problème principal m’apparaît être celui de la transformation du scénario NZE en référence totémique alors que les évolutions simulées à rebours depuis 2050 et à tous les échelons (usages, sectoriels, régionaux) dans le scénario NZE sont totalement infaisables. Dans le cadre étroit d’une tribune de 3000 mots sur le site de CdE, il était difficile de développer une critique circonstanciée de la faisabilité du NZE. Je suis en train de le faire pour le prochain numéro de la revue Transitions et Energies (que l’on trouve en kiosque) en étant très influencé dans mes réflexions par les travaux de Vaclav SMITH. C’est un professeur canadien très connu outre Atlantique, historien des transitions et auteur d’une cinquantaine de livres sur l’énergie, les systèmes matériels et l’environnement. Il est très influent aux Etats-Unis et au Canada (Bill Gates et Barak Obama en font l’éloge), mais peu connu ici des médias bien-pensants peu curieux de ce qui se débat sérieusement ailleurs. Il a publié en février 2024 un rapport remarqué et très convaincant intitulé Halfway Between Kyoto and 2050: Zero Carbon Is a Highly Unlikely Outcome sur le site du Fraser Institute de l’Université de British Columbia. Voir https://www.fraserinstitute.org/studies/halfway-between-kyoto-and-2050. Comme nous deux, Vaclav Smil ne veut se situer ni dans le camp du Bien, ni dans celui du Mal. Il pointe les nombreux points faibles des suppositions faites dans le scénario de l’AIE pour arriver au NZE en 2050 avec sa connaissance des systèmes matériels (quid des besoins et des productions énergivores d’acier, ciment, engrais, PVC, papier, et de leur production sans énergie fossile ?), de la complexité des systèmes énergétiques et des dynamiques d’innovation des grandes technologies énergétiques (quid du développement du CCS à l’échelle ? d’hydrogène verte ? des ENR électriques intermittentes à très grande échelle qui sont très peu denses avec les besoins de foncier et de matériaux associés, avec aussi la transformation complète des réseaux et des systèmes électriques ? etc.). Face à la référence aveugle et sans recul au scénario NZE et « aux plans sur la comète de ceux qui veulent forcer les transitions au mépris de toute considération technologique réaliste », Vaclav Smil suggère que « nous devrions plutôt consacrer nos efforts à tracer un avenir réaliste qui tienne compte de nos capacités techniques, de nos approvisionnements en matériaux, de nos possibilités économiques et de nos besoins sociaux, puis concevoir des moyens pratiques pour y parvenir. Nous pouvons toujours nous efforcer de les dépasser, ce qui est un bien meilleur objectif que de nous exposer à des échecs répétés en nous accrochant à des objectifs irréalistes et à des visions impraticables ». Pour finir, je reconnais humblement qu’emporté par mon plaidoyer (trop) à charge contre l’AIE, j’ai passé sous silence l’attention que l’AIE continue à porter sur les enjeux de sécurité énergétique, notamment ceux liés aux approvisionnements de pétrole et de gaz, notamment ceux créés par la transition énergétique vis-à-vis des dépendances en importations de métaux et matériaux critiques.

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