
Économiste de l’énergie et du climat
Directeur de recherches émérite, CIRED (Ponts-ParisTech & CNRS)
Janvier 2026 voit la fin du dispositif de l’ARENH qui protégeait les consommateurs de tout type en leur assurant un prix stable et modéré pour une grande partie de leur fourniture. Il permettait en particulier aux consommateurs industriels d’accéder à des MWh d’origine nucléaire à un prix régulé de 42 €/MWh, via les fournisseurs alternatifs. Il permettait aussi aux ménages de bénéficier de tarifs dont la partie énergie était alignée en grande partie sur ce prix.
Avec la fin de l’ARENH débute une nouvelle ère où les consommateurs vont être exposés aux aléas des prix du marché de l’électricité. Après de nombreux débats, deux mesures principales ont été prises pour limiter cette exposition, à savoir :
- la mise en place d’un dispositif de prélèvement/reversement d’une partie des rentes de la production nucléaire qui seront dégagées lors d’épisodes de prix élevés (dispositif baptisé Versement Nucléaire Universel ou VNU) ;
- en plus, pour les ménages, le maintien du tarif règlementé de vente, le TRVe, (qui, selon la législation européenne, aurait dû être supprimé), avec un mode de calcul de la partie énergie par lissage des prix du marché sur les deux dernières années.
Pour mieux comprendre ces choix, un retour en arrière s’impose. Début 2023, pour préparer le post-ARENH, il était prévu de s’appuyer sur un dispositif basé sur un contrat pour différences (ou CfD) bidirectionnel pour les productions nucléaires. Le nouveau règlement sur la réforme des marchés de l’électricité proposé en 2023 par la Commission européenne prévoit en effet l’extension du champ d’application des CfDs aux installations nucléaires rénovées, extension âprement négociée par la France en 2022-23 pour obtenir gain de cause(1).
Mais la direction générale d’EDF de l’époque a refusé le recours à des CfDs sur les productions du parc historique, pour avoir toute liberté de commercialiser son électricité d’origine nucléaire et bénéficier des périodes de prix élevés, après les quinze années d’ARENH qui ont privé l’entreprise d’importantes ressources financières. En échange, le compromis passé entre EDF et l’État en novembre 2023 prévoit le prélèvement d’une partie de la rente que dégageront ses productions nucléaires les années d’épisodes de prix élevés. À noter au passage qu’en plaidant pour le VNU, la direction d’EDF a préféré prendre le risque de ne pas s’assurer, en période de prix bas, de la couverture des coûts de production des réacteurs nucléaires (estimés à 60,3 €/MWh par la CRE), ce qu’aurait permis un CfD sur les productions du nucléaire rénové.
Que devient la protection des consommateurs vis-à-vis des aléas d’un marché à forte variabilité de prix avec les deux dispositifs précités ? Le versement nucléaire universel tel qu’il est conçu ne pose pas seulement un problème par rapport à la définition discrétionnaire des seuils de taxation que François Lévêque a analysée dans son article sur le VNU d’octobre 2025. Il pose aussi un problème d’efficacité par rapport à sa fonction redistributive, d’abord en raison de sa conception qui crée de l’inéquité entre consommateurs, comme le montre aussi François Lévêque dans un second article sur le sujet publié début décembre, mais aussi en raison de son hypercomplexité qui rend ses effets peu visibles et sa fonction de redistribution illisible.
C’est cet argument que nous développons d’abord avant d’analyser ensuite l’efficacité du nouveau mode de calcul du TRVe pour protéger les consommateurs « au tarif ». Pour finir, nous nous demandons si le VNU aura une utilité quelconque dans un système électrique marqué par le développement des renouvelables à coût marginal nul. Ce développement sans frein entretiendra une baisse tendancielle du prix moyen du MWh sur les marchés si bien que le VNU risque de ne jamais être activé.
La complexité du dispositif de taxation/redistribution du VNU
Pour comprendre les effets de la complexité du dispositif sur son efficacité redistributive, il nous faut cheminer au sein de cette complexité, comme François Lévêque l’a fait dans ses deux articles, ainsi que Jacques Percebois et Boris Solier dans un article de novembre pour pointer les faiblesses du VNU, notamment par rapport à ce qu’aurait apporté un CfD sur le nucléaire historique.
Le but est de prélever par taxation une partie de la rente infra-marginale des productions nucléaires dégagée en période de prix élevés pour la redistribuer aux consommateurs, via leurs fournisseurs, la taxe s’appelant « taxe l’utilisation du combustible nucléaire »(2). Pour ce faire, Il faut estimer par anticipation (un an à l’avance) les revenus d’EDF sur les différents segments du marché et selon les types de transaction en reliant les productions nucléaires anticipées (gestion saisonnière des arrêts pour rechargement, entretien, modulations journalières, etc.) aux prix auxquels EDF les vend selon les différents modes de commercialisation de ses productions. Il s’agit in fine de calculer le revenu moyen par MWh nucléaire estimé sur l’année.
Les recettes du prélèvement qui sont rassemblées dans un fonds spécial donnent lieu ensuite à un reversement égalitaire aux consommateurs pour chacun de leurs MWh consommés, calculé par la CRE via une minoration de leurs factures. Leurs fournisseurs devront avancer les fonds et seront compensés par des versements venant de ce fonds. La minoration doit être fixée par anticipation afin que les consommateurs puissent bénéficier d’une baisse de leur facture en année de prix de marché élevés, sans attendre que l’année soit écoulée.
Des règles d’écrêtement des rentes à la discrétion du politique
Dans ce schéma, un prix de référence aligné sur le coût complet du nucléaire est défini, révisable tous les trois ans : il a été calculé en septembre 2025 par la CRE à 60,3 €/MWh. Il sert à définir par décret les seuils de prélèvement des rentes, au-delà desquels l'État prélèvera un certain montant de la rente. Lorsque le revenu moyen par MWh nucléaire dépassera le premier seuil d’activation, appelé seuil de taxation, EDF sera redevable d’un montant de 50% de la différence entre ce revenu moyen par MWh nucléaire et le niveau de ce seuil. Quand ce même revenu moyen dépassera le second seuil, dit seuil d’écrêtement, 90% de l’écart entre celui-là et le niveau de ce deuxième seuil sera prélevé.
Les seuils qui sont fixés tous les trois ans par décret pourront varier entre 5 et 25 €/MWh au-dessus de 60,3 €/MWh pour le seuil de taxation, et entre 35 et 55 €/MWh pour le seuil d’écrêtement. Cette méthode introduit une bonne dose d’arbitraire, critiquée notamment par François Lévêque qui se demande au nom de quoi le gouvernement arbitrera une année en faveur des consommateurs et une autre année en faveur d’EDF pour qu’elle puisse constituer suffisamment de ressources financières pour investir dans le nucléaire.
L’arbitraire de la méthode ne peut guère faciliter la compréhension de l’objectif redistributif du dispositif. L’arrêté de décembre qui vient de fixer le seuil de taxation à 78 €/MWh et celui d’écrêtement à 110 €/MWh, est ainsi plutôt en faveur des intérêts d’EDF pour qu’elle conserve la part la plus grande part possible de sa rente qui est prévue par les règles du dispositif.
La complexité des calculs de la rente à taxer
Un arrêté ministériel a précisé que c’est l’année civile suivante qui est la base de calcul du revenu moyen par MWh nucléaire vendu par EDF. La CRE doit calculer, sur la base d’une comptabilité appropriée d'EDF, le reversement de la partie du chiffre d'affaires liée aux revenus de la production nucléaire en estimant à l’avance en N-1 l’ensemble de ces revenus anticipés durant l’année N. Elle doit aussi estimer, avant cette année de livraison, les quantités d’énergie qui seront produites chaque jour par le parc historique.
L’estimation des revenus venant des ventes de MWh nucléaires ne pose pas de difficulté pour les contrats adossés directement à des centrales historiques, notamment les contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN) qu’EDF est encouragée à signer avec les électro-intensifs. En revanche, il faut une méthode d’allocation des revenus pour les transactions internes à EDF, ainsi que pour ses ventes sur le marché de gros lorsque celles-ci ne se rapportent pas intégralement à la production issue du parc nucléaire historique. Pour ces transactions, on se réfère aux prix des contrats à terme à six mois, un an ou dix-huit mois, qui ne relèvent pas seulement du trading d’EDF, mais des confrontations d’anticipations de tous les acteurs du marché à terme. Enfin il faut identifier précisément les volumes d'électricité nucléaire livrés cette année-là, mais qui ont été vendus auparavant par EDF dans le cadre de contrats à terme, pour mettre un prix sur ces quantités.
Le décret de 2025 précise que les évaluations par la CRE, en N-1 pour l’année N, du VNU anticipé seront publiées successivement fin juin, fin septembre, de nouveau fin octobre et finalement fin novembre. A noter que, si le TU calculé pour l’année N est inférieur à 1 €/MWh, il n’y aura pas de minoration cette année-là. Dans ce cas, la minoration par le TU est reportée sur la première année qui verra le VNU activé. D’ailleurs, en s’ajoutant au TU calculé pour cette année-ci qui peut être inférieur à 1 €/MWh, il peut activer le reversement du VNU de celle-ci en permettant au TU total de dépasser 1€/MWh.
Pour l’année 2026, première année d’application du dispositif, la CRE a estimé qu’avec une production nucléaire d’EDF à hauteur de 360 TWh et ses anticipations de prix à terme, le revenu moyen par MWh nucléaire s’établit à 66,08 €/MWh, soit bien en dessous du seuil de taxation de 78 €/MWh. Dans tous les cas où le revenu moyen par MWh nucléaire dépasse le seuil de taxation, la taxe sur l’usage du combustible nucléaire (TUCN) s’applique aux revenus d’EDF, les recettes allant abonder le fonds spécial.
Ceci dit, il y a toute chance pour qu’il y ait un écart entre le VNU calculé en N-1 et les revenus effectifs du nucléaire après la clôture des comptes. Cette évaluation du VNU par anticipation implique des modifications qui peuvent être rétroactives, voire en cours d’année d’application en cas de crise de prix majeure, lorsque le déroulement des séquences du marché et celui des productions nucléaires ne correspondent pas aux anticipations. Les textes laissent entendre que la rectification pourra s’appliquer dans les deux sens. Soulignons que, pour éviter les régularisations négatives, il est recommandé dans le décret que la CRE introduise une « marge de prudence » dans ses estimations en N-1 auxquelles elle procède sur la base de plusieurs scénarios.
Prenons le cas d’une rectification après l’année civile concernée pour régulariser le VNU versé au cours de l’année précédente. Si le montant à redistribuer l’année N aurait dû être supérieur de 900 millions d’€ aux 3 milliards qui avaient été évalués en N-1, il faut augmenter le TU qui doit s’appliquer en N+1 d’un montant de 2 €/MWh (de 6,6 à 8,6 €/MWh), le calcul se faisant en considérant une consommation totale prévue en N+1 de 450 TWh. (Et vice versa si le VNU calculé pour N avait été surestimé). Le décret prévoit que la régularisation du TU s’applique dès lors que le VNU est activé l’année N+1.
La complexité du processus de reversement
Le produit de la taxe doit être ensuite reversé intégralement à tous les consommateurs sous la forme d’un versement transitant par les fournisseurs avec obligation de répercussion. Pour ce faire, la CRE calcule chaque année un reversement identique sur chaque MWh consommé, appelé tarif unitaire (TU). Ce reversement est fixé ex ante chaque année par arrêté.
Le reversement se fait donc via une minoration de sa facture calculée par le fournisseur en multipliant le TU par la consommation du client. La minoration doit apparaître sur la facture du consommateur. Les clients d’EDF au TRVe se verront appliquer des modalités identiques à celles des autres fournisseurs vis-à-vis de leurs clients. Les fournisseurs, rappelons-le, avancent les « minorations » de factures avant d’être eux-mêmes compensés par l’État. Celui-ci s’engage tout de même à verser des acomptes aux plus petits d’entre eux les années d’activation du VNU.
À noter une complication inutile, la minoration de la facture du consommateur par son fournisseur se fait entre avril et octobre par rapport à sa consommation pendant ces sept mois, et non pas étalée sur l’année, sans justification probante. L’argument développé dans le décret est qu’en excluant la minoration de la période d’hiver, on évite d’encourager les consommations pendant la pointe par des prix minorés. La réalité des comportements des consommateurs d’électricité a visiblement échappé aux concepteurs du VNU. Les consommateurs seront particulièrement insensibles à une petite baisse de leurs factures, l’élasticité-prix instantanée de la demande d’électricité étant quasiment nulle(3).
Pour que le dispositif fonctionne de façon crédible, il faut que la CRE centralise les déclarations des fournisseurs et les contrôle précisément. Cette tâche qui implique des contrôles circonstanciés s’ajoute aux tâches d’évaluations successives des revenus l’année N-1 qu’EDF tirera de ses ventes de MWh nucléaires l’année N. Dit autrement, ce dispositif implique des coûts administratifs importants en termes de dépenses de personnels supplémentaires pour la CRE, tant pour les évaluations ex ante, les rectifications ex post que la supervision des fournisseurs.
Les limites du dispositif du VNU
Nous nous focalisons ici sur l’inefficacité du dispositif du VNU au regard de son objectif redistributif, en ajoutant à la critique de François Lévêque centrée sur le caractère inéquitable de plusieurs mesures du dispositif(4). La complexité du dispositif rend peu lisible le mécanisme de compensation et peu visibles ses effets redistributifs. Le consommateur final ne pourra ni comprendre concrètement la minoration appliquée à sa facture, ni vérifier que la redistribution est juste ou conforme aux objectifs annoncés. Quatre problèmes peuvent être mis en avant.
En premier lieu, le système de prélèvement /reversement du VNU sera peu efficace pour protéger les consommateurs industriels d’épisodes de prix de marché élevés de quelques semaines du fait du lissage implicite des prix sur l’année qu’implique la procédure de calcul des revenus du nucléaire d’EDF. L’étirement de la période de calcul sur l’année permet d’inclure un nombre important d’heures de prix bas qui compense les effets des épisodes de pics de prix de quelques semaines dans le calcul. Ceci conduit à un revenu moyen par MWh nucléaire plus bas qu’il n’aurait été en prenant une période plus courte couvrant l’épisode de prix élevés. Ceci peut conduire à situer ce revenu moyen par MWh en dessous du seuil de taxation, contrairement à un calcul portant sur une période plus courte(5).
En second lieu, dans cette même perspective, on peut observer que le lissage temporel sur 12 mois laisse à l’opérateur nucléaire la possibilité de jouer avec les règles. Il a en effet la possibilité de gérer la production de son parc nucléaire sur l’année de telle sorte que le revenu moyen par MWh nucléaire calculé ex post par la CRE soit moins élevé que les prix horaires de la période de prix élevés. Autant dire qu’on offre à l’opérateur le moyen de limiter le prélèvement de sa rente dégagée pendant les périodes de pics de prix, sans protéger efficacement les gros consommateurs.
En troisième lieu, comme le récent rapport de la Commission parlementaire de l’AN sur les prix de l’électricité l’estime(6), l’absence d’une véritable visibilité du reversement associé aux rentes dégagées pendant les épisodes de prix élevés apporte peu de moyens aux consommateurs industriels d’anticiper les remboursements qui leur seront faits.
En quatrième lieu, enfin la complexité des calculs du VNU, tant pour son anticipation en N-1 que pour ses rectifications ultérieures, rend peu lisible la démarche de compensation que les concepteurs du dispositif ont eu en tête, que ce soit pour les industriels ou les ménages. Qui peut vraiment comprendre qu’il y ait sous-jacent un objectif de redistribution et de compensation ?
Les protections offertes par le nouveau mode de calcul du TRVe
En revanche, la protection des consommateurs pour les 21 millions d’abonnés restés au tarif est bien assurée efficacement par le lissage de prix sur deux ans, tandis que le dispositif du VNU qui s’applique aussi à eux n’apporte pas de protection supplémentaire.
Rappelons d’abord que les directives européennes imposent la suppression de tout tarif règlementé pour permettre la concurrence libre et non faussée sur tous les segments du marché de l’électricité, ce qu’on oublie trop souvent de rappeler. La fin de l’ARENH aurait pu être l’occasion d’effacer le TRVe, ce que recommandait l’Autorité de la concurrence dans un avis de novembre 2024. Elle y considérait que les autres fonctions du tarif - traitement de la précarité, offreur en dernier recours, péréquation - pouvaient être traitées autrement(7).
La CRE et le gouvernement défendent le maintien d’un tarif, sous l’argument de circonstance qu’au sortir de la crise des prix, la disparition de l’ARENH entraînerait trop de bouleversements sur le segment de marché des ménages si le tarif réglementé était supprimé(8). La CRE met en avant les besoins des consommateurs de disposer d’une protection contre la volatilité des prix, alors que dans une situation après la suppression du tarif, les offres des fournisseurs en concurrence ne pourraient pas offrir vraiment une telle protection. D'ailleurs, pour les fournisseurs alternatifs, le maintien d’un tarif est utile pour eux, car il leur sert de référence pour se positionner dans un marché complexe et difficile à anticiper.
Mais ce n’est pas suffisant pour justifier le maintien d’un tarif réglementé, même de façon transitoire, car la suppression du tarif pourrait dans le sens de l’intérêt des consommateurs, ce qu’au passage, l’expérience de suppression des tarifs règlementés pour le gaz montre bien. L’autre argument mis en avant auprès de Bruxelles et qui est recevable, est la possibilité de mettre en place une structure tarifaire fine heures pleines /heures creuses qui soit en phase avec l’objectif européen de la transition et les besoins croissants de flexibilité du système électrique de par la croissance des renouvelables intermittentes. Les directives et règlements récents reconnaissent la possibilité de maintenir un tarif pour orienter les comportements des consommateurs domestiques à l’aide d’une structure tarifaire qui œuvre dans le sens de la flexibilité(9). De plus, l’adoption d’une telle option tarifaire par les consommateurs dont le profil est bien adapté à cette option présente aussi l’avantage non négligeable aux yeux du régulateur européen de permettre une réduction de leur facture.
L’efficacité du lissage des prix sur deux ans
Pour limiter les expositions des consommateurs à la volatilité des prix de marché, le calcul du TRVE repose sur un lissage du prix de marché sur les deux dernières années. Sur une période plus courte, l’exposition au risque d’un épisode de prix élevés serait plus importante. Rappelons que pendant la période ARENH, ce principe du calcul du prix par lissage sur deux ans, justifié par la protection des consommateurs, s’appliquait aux quantités venant du marché (pour un tiers) pour établir le prix de cet approvisionnement, l’autre partie (les deux tiers restants) étant supposée venir de la production nucléaire payée au prix de l’ARENH.
C’est ce qu’a expliqué Emmanuelle Wargon, la présidente de la CRE devant la commission sénatoriale sur les prix de l’énergie le 30 avril 2024(10), « ce qu'on va "perdre" avec la fin de la majeure partie du tarif (les deux tiers) à 42 euros le MWh, sera compensé par ce lissage sur deux ans pour sortir des fluctuations de marché, ce qui est la raison d'être des tarifs réglementés. Avec une période plus courte, le tarif reviendrait à suivre de trop près les fluctuations des prix de marché, ce qui lui ôterait son rôle de protection des consommateurs ».
La protection offerte par le VNU
Comme on vient de le voir, le mécanisme du VNU est particulièrement complexe dans sa définition et sa mise en œuvre. De toute évidence les consommateurs auront quelque mal à comprendre le lien entre, d’un côté, les pics de prix prolongés sur le marché l’année N, dont ils sont déjà protégés par le lissage des prix sur les deux années antérieures et de l’autre, les minorations de factures dont ils bénéficieront la même année.
De plus, les petites hausses de la partie énergie du tarif dues aux pics de prix de l’année N qui ne surviendront qu’en N+1 et N+2 seront perçues sans lien avec la minoration de l’année N. On peut douter que quiconque comprenne quoi que ce soit de cette superposition des deux protections, celle apportée par le VNU et celle apportée par le mode de calcul de la partie énergie du TRVe par lissage des prix sur les deux années antérieures.
Le jeu en valait-il la chandelle ?
Le dispositif de taxation/reversement des rentes nucléaires a été conçu en 2024 quand les esprits étaient encore marqués par les difficultés posées par la crise des prix dont on sortait. Faisant le pari que les prix auront tendance à être élevés, les dirigeants d’EDF voulaient toute liberté pour commercialiser l’électricité d’origine nucléaire de l’entreprise en concédant cette taxation. Les ministères, marqués par les difficultés de gestion de la crise des prix de l’électricité se sont finalement rangés fin 2023 à l’argument de la direction d’EDF qui rejetait l’utilisation du CfD sur le nucléaire historique.
Dans cette ambiance « post-traumatique », on n’a pas cherché à comprendre les effets du développement rapide des productions d’EnR de coût marginal nul sur la formation des prix sur les marchés électriques à moyen et long terme, en se focalisant sur le risque d’une nouvelle crise gazière. Si le fonctionnement du marché électrique intégrant des apports d’EnR très importants avait été mieux compris, on aurait dû anticiper que le nombre d’heures où les prix sont bas, nuls ou négatifs sur le marché allait croître rapidement. Les prix moyens sont sur une tendance structurelle à la baisse du prix moyen du MWh sous l’effet d’un tel développement. Celle-ci avait été démontrée clairement par les exercices de l’AEN-OCDE des années 2015-2020 basés sur un modèle de simulation des marchés et des choix d’investissement du système électrique du MIT(11). Elle avait été popularisée par l’importante littérature sur les coûts de système croissants des EnR électriques.
Le récent Bilan prévisionnel 2025 de RTE confirme que, dans un scénario réaliste de faible croissance de la demande et de poursuite des installations d’équipements ENR autorisés, le prix de marché s’établirait à des niveaux bas et de conclure avec malice (p.18) : « Le passage à un approvisionnement intégralement réalisé sur les marchés pour tous les consommateurs coïncide avec cette forte baisse des prix de marché. Ceci permet à cette transition de se réaliser, pour beaucoup de consommateurs, dans la continuité de leurs conditions d’approvisionnement antérieures contrairement à ce qui était craint en 2023 et 2024 ». À la fin 2024, les prix à terme s’établissaient à moins de 60 €/MWh, et en cette fin d’année à moins de 50 €/MWh.
Devant cette tendance structurelle de prix moyens bas, la probabilité de crise de prix prolongée du type de celle des années 2022-2023 est plus que faible. Le dispositif du VNU ne devrait être que très rarement activé. Il s’ensuit que les efforts de définition et de mise en place d’un mécanisme aussi complexe que celui du VNU dont les effets seront peu lisibles et dont les coûts administratifs sont importants, apparaissent au bout du compte comme vains. Les jeunes technocrates de la DGEC, de la CRE et d’EDF qui ont conçu en commun cet édifice règlementaire aux arcanes baroques ont visiblement pris plaisir à tout compliquer. En comparaison, le dispositif critiquable de l’ARENH qui avait au moins au départ le mérite de la simplicité.
Finalement, comme le suggère François Lévêque dans son article de décembre, la sagesse commanderait de profiter de ce contexte de prix du marché bas avec un VNU inactivé, pour l’abandonner. On aurait le temps de discuter comment le remplacer par un dispositif simple et solide qui garantira un prix stable et modéré. Ce serait le cas d’un CfD sur le nucléaire rénové. Il présenterait de nombreux avantages pour protéger les consommateurs industriels comme les ménages.
Sources / Notes
1. Un tel contrat CfD permettrait de stabiliser les prix pour l’ensemble des acteurs, producteurs ou consommateurs pour la majeure partie de leurs achats.
2. Nous nous réfèrerons par la suite au projet de décret encadrant le dispositif commenté par la CRE dans sa délibération du 16 décembre 2025.
3. Comme on aime bien compliquer les choses, le décret prévoit qu’en cas de crise de prix grave (qui selon le principe de l’évaluation ex ante du VNU, aurait donc été prévue), que la minoration soit étalée sur l’année. Pour continuer dans la même veine, on s’interroge sur l’adaptation possible du TU aux différents profils de consommation des acheteurs !
4. C’est notamment le cas du reversement universel qui conduit à ignorer les différences de profil de consommation des différents usagers. Le caractère strictement égalitaire du reversement revient à ignorer les différences de fonctions d’utilité des consommateurs et donc celles du bénéfice du reversement pour chacun d’entre eux.
5. Si on avait choisi une conception différente du dispositif avec des périodes plus courtes au sein de l’année considérée, on aurait été plus proche du profil du risque auxquels les gros consommateurs et les fournisseurs sont exposés sur le marché et aboutir à des compensations plus importantes et à des échéances plus rapprochées de l’épisode de prix élevés.
6. Commission des affaires économiques de l’AN, Rapport d’information sur le prix de l’électricité, la compétitivité des entreprises et l’action de l’État. Octobre 2025, p.66.
7. Autorité de la concurrence.
8. CRE, Rapport d’évaluation des tarifs réglementés de vente d’électricité, 7 novembre 2024.
9. Le système heures pleines/heures creuses testé depuis novembre 2025 instaure des différences entre la période allant du 1er avril au 31 octobre et celle du 1er novembre au 31 mars. Au printemps et en été, les foyers disposeront de 2 à 3 heures creuses en journée, le reste étant nocturne. En automne et en hiver, le modèle classique de 8 heures creuses nocturnes sera maintenu, avec des aménagements l’après-midi pendant les deux jours de week-end.
10. Voir le compte rendu des auditions du rapport Éclairer l'avenir : l'électricité aux horizons 2035 et 2050 - Comptes rendus et annexes - Sénat.
11. NEA-OECD. The Costs of Decarbonisation: System Costs with High Shares of Nuclear and Renewables. 2018.
NEA-OECD. Nuclear Energy and Renewables. System Effects in Low-carbon Electricity. 2012.
Les autres articles de Dominique Finon
TRIBUNE D'ACTUALITÉ
TRIBUNE D'ACTUALITÉ




