Après l'éolien, le solaire aussi victime d'un oubli de l'État

  • AFP
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Au détour de procédures judiciaires contre le gestionnaire du réseau d'électricité Enedis, la justice a reconnu l'illégalité d'anciens tarifs de soutien à l'énergie solaire, et quatre ans après l'éolien, c'est une nouvelle énergie renouvelable qui subit le contrecoup d'un oubli de l'État.

L'affaire remonte au tournant des années 2010, en pleine explosion de l'installation de panneaux solaires chez les particuliers. L'électricité produite par ces panneaux était vendue à EDF à un tarif très supérieur au prix de marché, subventionné par l'Etat.

Face à la bulle créée par ce soutien massif, l'État avait décidé début 2011 de baisser fortement le tarif attribué aux petites installations solaires. Certains producteurs avaient alors attaqué Enedis (ex-ERDF) accusant le gestionnaire du réseau d'avoir tardé à répondre à leur demande de raccordement, les ayant ainsi empêchés de bénéficier du tarif précédent, plus avantageux.

Pour sa défense, Enedis et son assureur AXA ont utilisé devant les juge un argument imparable: les tarifs que les producteurs contestent étaient illégaux, car ils auraient dû être notifiés à la Commission européenne par l'Etat français, ce qui n'a pas été effectué, explique à l'AFP Matthias Pujos, l'avocat d'AXA.

Un oubli, reconnu en mars 2017 par la Cours de Justice de l'Union européenne (CJUE), saisie dans le cadre d'une de ces procédures, et qui a abouti à ce que plusieurs tribunaux de commerce, dont Nîmes le 24 mai ou Nanterre le 7 juin, tranchent en faveur de la filiale d'EDF.

Au total, 450 procédures ont été lancées par de nombreux producteurs d'électricité solaire, comme les sociétés Fonroche ou Langa, et "le préjudice atteint près d'1,3 milliard d'euros potentiellement", détaille Matthias Pujos.

Inquiétudes

Cette affaire soulève des "inquiétudes" au sein de la filière solaire car certains producteurs craignent que les aides versées à l'époque puissent être en partie réclamées, rapporte Marion Lettry, du Syndicat des énergies renouvelables.

Ils gardent en effet en tête l'épisode similaire vécu par la filière éolienne en 2014. Saisi par une association anti-éolien, le Conseil d'Etat avait annulé le tarif de rachat de cette énergie en vigueur depuis 2008 car là encore, l'Etat français ne l'avait pas notifié à Bruxelles.

Plusieurs centaines de producteurs avaient dû rembourser une partie de l'aide reçue, pour un montant d'environ 47 millions d'euros, à l'issue d'une affaire qui a empoisonné le moral de la filière pendant plusieurs années.

Toutefois, l'avocat spécialiste du droit de l'environnement Arnaud Gossement se veut rassurant dans le cas du solaire: "les juges ont dit que ces arrêtés tarifaires n'étaient pas valables, mais ils ne peuvent pas les effacer" car c'est du ressort d'un juge administratif, et les producteurs peuvent donc continuer à en bénéficier.

En revanche, l'Etat conserve la possibilité d'entamer des démarches pour récupérer une partie des aides versées, tandis que la Commission européenne pourrait entamer une procédure d'infraction. "Mais depuis l'ordonnance de mars 2017 de la CJUE, ni l'Etat ni la Commission n'ont bougé. S'ils avaient l'intention de faire quelque chose, ils l'auraient déjà fait", estime M. Gossement.

Si l'Etat ne s'est pas prononcé officiellement, l'administration qui gère ces dossiers au ministère de la Transition écologique et solidaire a assuré aux industriels de manière informelle qu'elle ne comptait pas rouvrir le dossier, rassure aussi Mme Lettry.

« Négligences »

Reste que pour Arnaud Gossement, ces deux affaires, dans l'éolien et le solaire, montrent "qu'il y a eu une série d'incroyables négligences" de la part des gouvernements de l'époque, qui n'ont pas pris de mesures pour sécuriser ces aides.

Il met en cause un "manque d'expertise juridique" au sein de l'administration. "Il y avait un peu une méconnaissance de tous ces dispositifs extrêmement compliqués", confirme Marion Lettry. "À cette époque, quasiment aucun Etat-membre ne notifiait ses aides à la Commission européenne", relativise-t-elle. Mais la France reste le seul pays à avoir vu un de ses dispositifs de soutien retoqué.

Dès 2014, Bruxelles a d'ailleurs publié des "lignes directrices" sur les aides d'Etat dans l'énergie, afin de préciser les obligations des Etats membres. Depuis, elle a par exemple validé les nouveaux mécanismes de soutien français instaurés l'an dernier dans l'éolien, le solaire ou la méthanisation.

Le prochain dossier sensible sera celui des tarifs accordés à six projets d'éolien en mer, récemment renégociés à la baisse par le gouvernement. Les premiers accords sur ces tarifs, conclus en 2012 et 2014, n'avaient pas encore été notifiés.

Commentaires

Alain

Négligences des gouvernements de l'époque, qui n'ont pas notifié les tarifs qu'ils proposaient à leurs producteurs de solaire, c'est exact et en tout cas (…) vraisemblable. Mais négligences des entrepreneurs aussi : quand l'économie d'un projet dépend quasi-exclusivement (cas du solaire, cas de l'éolien, quoi qu'en disent les intéressés) de subventions publiques permettant d'effacer tout ou plus du déficit de productivité de la technologie solaire ou éolienne (qui reste et restera peu productive, c'est d'ailleurs pour ça qu'on a inventé la marine à moteur …), alors on est un entrepreneur très négligent. Il ne faut pas compter seulement sur ses talents de lobbyiste et les messages sympas qu'on arrive à faire avaler à l'opinion publique - le long terme va user tout ça et avec ça, la capacité des gouvernements à subventionner va s'user puis disparaître.

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