- Connaissance des Énergies avec AFP
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Les droits de douane exorbitants promis par les États-Unis sur les panneaux solaires fabriqués en Asie du Sud-Est pourraient aider la région à accélérer sa transition vers les énergies renouvelables, après des années de stagnation, selon des experts interrogés par l'AFP.
80% de la production mondiale vient de Chine
Fin avril, Washington a annoncé son intention d'imposer jusqu'à 3 521% les panneaux solaires conçus au Cambodge, au Vietnam, en Thaïlande et en Malaisie. Ces taxes résultent d'une enquête, lancée avant l'élection de Donald Trump, qui a conclu que les entreprises ciblées percevaient des "subventions transnationales" de la part de la Chine, dans une logique de dumping préjudiciable aux producteurs américains.
Ces droits de douane, en attendant leur confirmation ces prochaines semaines, s'ajouteraient aux autres mesures protectionnistes mises en place par les États-Unis, comme un taux plancher de 10% sur la grande majorité des produits importés, et une surtaxe de 145% sur le "made in China".
Ces nouvelles barrières mettent en péril le marché américain qui, en dépit d'investissements récents, continue de dépendre de composants fabriqués à l'étranger. La Chine pèse 80% de la production mondiale de panneaux solaires, et détient 80% des parts de marché dans chacune des étapes de leur fabrication.
Les nouvelles surtaxes douanières "rendront pratiquement impossibles les exportations commerciales de photovoltaïque vers les États-Unis", estime Putra Adhiguna, directeur du groupe de réflexion Energy Shift Institute. Pour les producteurs chinois, déjà aux prises avec un marché domestique saturé, la nouvelle vague de droits de douane constitue assurément une mauvaise nouvelle.
Transition en Asie du Sud-Est
Beaucoup d'entre eux ont déplacé leurs opérations en Asie du Sud-Est, dans l'espoir de contourner les mesures punitives appliquées par Washington et l'Union européenne.
L'administration Trump prévoit d'imposer 3 521% de droits de douane - soit des taxes correspondant à plus de 35 fois le prix - à des entreprises chinoises basées au Cambodge, et jusqu'à 375% pour un concurrent installé en Thaïlande. Les panneaux solaires et cellules provenant de Malaisie se verraient imposer un taux d'environ 40%.
Mais selon un expert, cette offensive pourrait faire bouger les lignes en Asie du Sud-Est. "Les droits de douane et la guerre commerciale devraient accélérer la transition énergétique en Asie du Sud-Est", explique Ben McCarron, directeur du cabinet de conseil Asie Research & Engagement, basé à Singapour.
La Chine "redoublera d'efforts" sur les marchés régionaux, en faveur de politiques qui puissent "permettre l'adoption rapide d'énergies vertes dans la région", sous l'impulsion de ses exportateurs, poursuit-il.
Les analystes préviennent de longue date que les pays de la région n'avancent qu'à petits pas sur le sujet, restant attachés aux énergies fossiles, à l'heure du réchauffement climatique. "Au rythme actuel, l'Asie du Sud-Est risque de rater les opportunités fournies par la baisse des coûts de l'éolien et du solaire, qui aujourd'hui coûtent moins chers que les carburants fossiles", a écrit le groupe de réflexion Ember dans un rapport publié l'an dernier.
Par exemple, plus de 80% de la production d'électricité en Malaisie reposait sur les énergies fossiles en 2024. Le pays espère accroître la part des renouvelables à 24% de son mix énergétique d'ici 2030, un objectif considéré comme peu en phase avec les défis actuels.
Une double opportunité
La perspective de taxes prohibitives représente une double opportunité pour la région, estime Muyi Yang, analyste en chef au sein d'Ember. Jusqu'ici, l'industrie locale du solaire était régie par une "stratégie largement opportuniste, basée sur l'exploitation des ressources nationales ou des avantages en termes de main-d'oeuvre afin de réaliser des profits à l'exportation", développe-t-il.
Bien qu'il reste difficile de compenser l'absence d'un débouché aussi important que les Etats-Unis, ses acteurs pourraient se concentrer sur des marchés locaux qui "pourraient servir de refuge naturel contre la volatilité extérieure", poursuit-il. "Le succès dépend de la transformation de cette dynamique d'exportation en une révolution nationale des technologies propres", pense M. Yang.
Les "prix de déstockage" pourraient attirer des clients dans la région et au-delà, mais les pays d'Asie du Sud-Est risquent aussi de freiner face à l'afflux du solaire, prévient Putra Adhiguna.
L'Indonésie et l'Inde ont déjà mis en place des mesures visant à favoriser leur production nationale. "Beaucoup hésiteront à importer en masse, mettant en priorité la balance commerciale et la création locale d'emplois verts", pronostique-t-il.