- Connaissance des Énergies avec AFP
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La pression monte d’un cran des deux côtés de l’Atlantique : Washington vise les groupes Rosneft et Lukoil, pendant que Bruxelles prépare un durcissement sur les hydrocarbures russes.
Washington franchit le pas : Rosneft et Lukoil dans le viseur
À la Maison Blanche, Donald Trump a exprimé son agacement envers Vladimir Poutine et confirmé des mesures présentées comme “des sanctions énormes”. “Ce sont des sanctions énormes (...) Et nous espérons qu'elles ne dureront pas trop longtemps. Nous espérons qu'un terme sera mis à la guerre”, a-t-il déclaré en recevant le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, dans le Bureau ovale.
Concrètement, le Trésor américain annonce le gel de tous les actifs aux États-Unis pour Rosneft et Lukoil, et une interdiction pour les entreprises américaines de traiter avec ces groupes. Le ministre des Finances Scott Bessent a justifié le geste en visant deux géants “qui financent la machine de guerre du Kremlin”. Des mots qui résonnent avec l’exaspération du président : “À chaque fois que je parle avec Vladimir, nous avons de bonnes conversations mais ensuite elles ne vont nulle part”.
Le canal diplomatique n’est toutefois pas coupé, a insisté le secrétaire d’État Marco Rubio : “Nous serons toujours intéressés par un dialogue” s’il ouvre une voie vers la paix, a-t-il dit à la presse.
Du côté ukrainien, le message est accueilli sans ambiguïté par l’ambassadrice à Washington, Olga Stefanishyna : “Cette décision s'aligne pleinement avec la position constante de l'Ukraine selon laquelle la paix ne peut être obtenue que par la force et en exerçant une pression maximale sur l'agresseur à l'aide de tous les outils internationaux disponibles”.
Ce que prépare l’Union européenne : du GNL aux “flottes fantômes”
À Bruxelles, les Vingt-Sept ont scellé un accord politique pour durcir les sanctions énergétiques : arrêt total des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) russe et nouveaux verrous contre la “flotte fantôme” de pétroliers utilisée pour contourner l’embargo. L’adoption formelle est attendue ce 23 octobre, avec des dispositions visant aussi les montages logistiques et d’assurance maritime facilitant l’export russe. Ces mesures s’inscrivent dans la trajectoire européenne de sortie accélérée des hydrocarbures russes d’ici la fin de la décennie.
La part du gaz russe dans les importations totales de l’UE est tombée autour de 15 à 19% en 2024, mais les volumes de GNL russe ont paradoxalement atteint un niveau record en 2024, portés notamment par la France et l’Espagne. La Commission, qui a déjà interdit les transshipments de GNL russe via les ports européens, pousse désormais vers un assèchement complet des flux restants.
Marchés pétroliers : un sursaut immédiat, des inconnues persistantes
À l’ouverture asiatique, le baril de Brent a progressé d’environ +3%, autour de 64,97 dollars, quand le WTI gagnait plus de 2 dollars. Ce mouvement traduit un risque perçu sur l’offre, alors que les deux groupes visés pèsent lourd dans le système pétrolier russe.
Rosneft revendique près de 40% de la production pétrolière de la Russie, quand Lukoil en représente autour de 15% : à eux deux, ils forment l’ossature d’un secteur qui alimente encore une part substantielle des recettes du budget fédéral. Les nouvelles sanctions ajoutent un cran de complexité pour la commercialisation, le financement et l’assurance des cargaisons issues de ces groupes.
Au-delà de la réaction à chaud, la trajectoire des prix dépendra du jeu d’équilibre avec l’OPEP+ et du niveau de la demande mondiale, dans un marché qui évoluait ces dernières semaines autour de 65 dollars le baril.
Pourquoi Rosneft et Lukoil sont des “leviers” stratégiques
Rosneft a produit près de 3,7 millions de barils par jour (Mb/j) d'hydrocarbures liquides, selon ses chiffres portant sur 2024, et Lukoil avoisine 1,7 (Mb/j), avec une présence industrielle et logistique profonde dans le pays. En visant ces groupes, Washington cherche à réduire la capacité d’export et la rente pétrolière qui soutiennent l’effort de guerre.
Sur le plan maritime, l’UE cible la “flotte fantôme” et ses pratiques d’opacité : transferts de navire à navire, pavillons de complaisance, assurances de dernier recours. Des règles plus strictes sur la preuve d’origine et l’accès aux ports européens visent à refermer ces brèches. La traque des contournements devient un pilier de la politique de sanctions.
Soulignons par ailleurs que plusieurs raffineries, de Rosneft comme de Lukoil, ont été touchées ces derniers mois par des attaques de drones, provoquant des arrêts temporaires d’unités clés. Chaque indisponibilité de raffinage peut rejaillir sur les flux d’export de produits pétroliers.
Pression maximale mais un dialogue encore évoqué
Ces annonces interviennent au lendemain d’une nouvelle nuit d’attaques massives en Ukraine. À Kharkiv, l’attaque d’une école maternelle par drones a choqué l’opinion, tandis que Kiev attend des garanties politiques et financières lors du Conseil européen. Dans le même temps, Volodymyr Zelensky devait se rendre à Bruxelles puis à Londres pour consolider les soutiens.
Mark Rutte parie sur l’effet cumulatif des sanctions pour “changer les calculs” du Kremlin et ramener Moscou à la table d’un cessez-le-feu. “J’en suis absolument convaincu, ce ne sera peut-être pas aujourd’hui ni demain, mais nous y arriverons”, a-t-il estimé. Côté capacités militaires, Kiev a par ailleurs annoncé une lettre d’intention pour l’achat de 100 à 150 Gripen de dernière génération en Suède, pendant que Washington maintient son refus de livrer des Tomahawk, jugés trop complexes d’emploi par le président Trump.