- Connaissance des Énergies avec AFP
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Fusionner l'ASN, gendarme du nucléaire, avec l'IRSN, expert de la sûreté, pour adapter la France à la relance de l'atome: le projet de réforme du gouvernement a débuté mercredi son parcours parlementaire au Sénat, majoritairement favorable malgré de nombreuses oppositions politiques, associatives et syndicales.
Décidé dans le huis clos d'un conseil de politique nucléaire à l'Elysée en février 2023, glissé dans un simple amendement législatif au printemps puis retoqué au Parlement, le projet de loi sur la gouvernance de la sûreté nucléaire française est enfin remis sur la table.
Dans le contexte d'un vaste plan de relance du nucléaire civil la réforme vise à "fluidifier" la prise de décisions dans le secteur pour "maintenir dans la durée l'excellence de la sûreté nucléaire", selon le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, présent au banc dans l'attente de la nomination d'un potentiel délégué à l'Energie.
Pour ce faire, l'exécutif défend la vision d'une grande "Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection" (ASNR), créée au 1er janvier 2025. Cette nouvelle entité émanerait de la fusion de l'Institut de radioprotection et de sûreté Nucléaire (IRSN) - la "police scientifique" du secteur - et de l'Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) - le gendarme des centrales. Deux structures nées dans les années 2000 des leçons de la catastrophe de Tchernobyl.
Les défenseurs de ce modèle plaident pour une "efficacité" renforcée et des délais réduits dans les processus d'expertise, d'autorisation et de contrôle. Ses opposants, au contraire, redoutent un manque de transparence et une porosité néfaste entre experts et décideurs.
"Aucun diagnostic, aucun état des lieux étayé des forces et des faiblesses du système dual actuel ne nous a été fourni", a dénoncé le sénateur socialiste Sébastien Fagnen, épinglant un texte qui "souffre d'une méthode hâtive et d'un objectif hasardeux". "Abracadabra, en un coup de baguette magique l'Etat fait disparaître l'IRSN", s'est désolé l'écologiste Ronan Dantec.
- "Additionner les forces" -
L'intersyndicale de l'IRSN partage depuis plusieurs mois ces inquiétudes et a d'ailleurs appelé ses salariés à manifester jeudi à Paris depuis la place d'Italie jusqu'aux abords du Sénat.
De nombreux experts du secteur comme les associations environnementales ou d'information aux riverains des centrales nucléaires sont également opposés à la réforme.
"La seule raison objective de s'opposer à ce texte, c'est si l'on considère qu'il ne faut pas relancer le nucléaire", a rétorqué Christophe Béchu au Sénat, assurant qu'"aucune autre autorité administrative indépendante ne serait autant encadrée par la loi que la future ASNR".
La majorité sénatoriale, une alliance de la droite et du centre, va de son côté dans le sens du gouvernement: "Il est nécessaire de gagner en efficacité et en cohérence alors que nous entrons dans une ère nouvelle (dans la sûreté). L'idée, c'est d'additionner les forces", assure le sénateur Les Républicains Patrick Chaize.
- Béchu chahuté -
"Il est tout à fait légitime que cette nouvelle organisation suscite des interrogations. Mais je suis persuadé qu'elle participera à l'attractivité des métiers du nucléaire", prolonge le centriste Pascal Martin, rapporteur du projet de loi.
La majorité sénatoriale a tout de même remodelé le texte en commission pour garantir la transparence de la future ASNR, tout comme la distinction entre "expertise" et "prise de décision" au sein de cette nouvelle entité.
Ainsi, un amendement impose que soient publiés les résultats d'expertise, tandis qu'une autre mesure crée une "commission d'éthique et de déontologie" chargée de "prévenir" d'éventuels conflits d'intérêt.
Le projet de règlement intérieur de la future entité devra par ailleurs être présenté à l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
Si le ministre a salué les ambitions sénatoriales, il a dit craindre que certaines évolutions conduisent "à des conflits ou à des formes de paralysie".
Christophe Béchu a aussi dû répondre à de nombreuses critiques sur l'absence de ministre délégué sur un dossier initialement porté par Agnès Pannier-Runacher.
"Le gouvernement a refusé d'être auditionné sur ce projet de loi (...) il est aux abonnés absents. Cette situation est véritablement inadmissible", l'a invectivé la présidente LR de la commission des Affaires économiques Dominique Estrosi-Sassone.
Un vote solennel est prévu mardi (14h30) au Sénat sur ce projet de loi, avant sa transmission à l'Assemblée nationale.
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