Technip : décision en appel sur le suivi des risques psychosociaux

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Technip France a-t-il mis en place l'évaluation des risques psychosociaux (RPS) ordonnée par la justice après le suicide de quatre salariés entre 2016 et 2019 ? L'entreprise est accusée d'avoir insuffisamment agi dans ce dossier sur lequel la cour d'appel de Versailles rend un arrêt jeudi.

Pour Christophe Héraud, délégué syndical CFDT (majoritaire), la politique de prévention des RPS du groupe parapétrolier est toujours défaillante.

Créée en 1958 à l'initiative du général de Gaulle pour vendre du matériel en Afrique, Technip, entreprise longtemps étatique et dans le giron d'Elf puis de Total, s'est transformée au début des années 2000 en s'internationalisant. Son évolution a été plus marquée encore après l'arrivée en 2007 du PDG Thierry Pilenko, premier dirigeant non issu de Total.

Jusque-là, le groupe, constitué majoritairement de cadres autonomes menant des projets d'envergure raisonnable, connaissait un climat social apaisé, de l'aveu des syndicats qui estiment que la fusion avec l'américain FMC en 2016 a bouleversé cette culture tranquille. "En 2015, le marché se retourne", raconte M. Héraud. Thierry "Pilenko a peur qu'on coule et il se rapproche de FMC. L'arrivée des Américains a complètement hystérisé une boîte pas du tout préparée à ça".

"Technip a subi de multiples réorganisations", analyse l'expert Olivier Seveon, auteur de "Les risques psychosociaux en milieu professionnel". "Lors du rapprochement avec FMC, ils sont entrés dans une spirale très dangereuse en éloignant le centre de décision. Les salariés sont désormais obligés de se soumettre à une certaine idéologie ambiante. On attend d'eux qu'ils avalent le boulot sans rechigner", ajoute-t-il.

"Le lien se délite", poursuit M. Héraud. "Ca ne prend pas. Le travail s'intensifie. Il y a une explosion des RPS et ces suicides dramatiques".

M. Pilenko part en 2017. L'année suivante, le CSE assigne Technip France pour absence de prévention des risques psycho-sociaux. En retour, la direction enclenche "une vingtaine de contentieux" ces deux dernières années, dont "une quinzaine" perdus selon M. Héraud. Il assure que la société dépense quatre millions d'euros par an en frais d'avocats.

« Bataille des idées gagnée »

Grâce au Covid, qui a imposé un éloignement forcé, puis à la scission avec FMC, finalisée en février, l'engrenage s'est cependant enrayé.

Depuis le premier procès, Technip France "n'est pas restée inactive", assure son avocat dans ses écritures devant la justice. "La société continue de consacrer des moyens humains et financiers considérables. De nombreuses négociations (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, diversité/handicap, égalité professionnelle, télétravail, horaires décalés, droit syndical, négociations annuelles obligatoires) ont bien eu lieu", détaille-t-il en reconnaissant que, coronavirus oblige, "la démarche" a été décalée "par la force des choses".

"Plus d'une quarantaine de personnes sont mobilisées pour la prévention des RPS", poursuit-il, en précisant que 961 039 euros y ont été consacrés en 2020. "Ils ont embauché des gens, des médecins", reconnaît M. Héraud, qui admet "quelques progrès". "On parle maintenant des RPS dans la boîte. La bataille des idées est gagnée".

Mais il rappelle que la direction a reconnu fin mai "ne pas avoir rédigé les 13 plans d'actions spécifiques dont ils ont déjà annoncé la mise en place". "La plupart des actions indiquées dans les plans d'actions de prévention sont en fait des orientations d'actions et non des actions concrètes", estime le cabinet Syndex, missionné par le CSE, dans un rapport rédigé en avril. "Ces informations empêchent d'évaluer la pertinence des mesures de prévention", ajoute-t-il, en regrettant que "le déroulement des missions a été difficile et a donné lieu à contentieux" avec la direction.

"Dans l'absolu, les directions ne peuvent pas reconnaître l'existence des RPS, qui remettent directement en cause l'organisation du travail, le sous-effectif. Pour une direction, reconnaître des RPS, c'est s'attaquer aux objectifs financiers et de rentabilité", déplore encore M. Seveon. L'expert s'étonne également de l'absence de données fiables sur la question du suicide au travail et dénonce des estimations officielles "minimalistes" qui reposent sur des extrapolations vieillissantes.

Contactée par l'AFP, l'entreprise a dit de son côté "attendre la décision" de la cour.

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