Venezuela : croisade anti-corruption ou purge politique ?

  • AFP
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"Allons jusqu'au bout ! Advienne que pourra", a lancé le président vénézuélien Nicolas Maduro alors qu'une opération anti-corruption en cours a déjà conduit à l'arrestation de 51 personnes dont des hauts fonctionnaires.

Le président affirme qu'il ne craint pas les conséquences alors que des hauts cadres, dont un ex-ministre du pétrole, sont éclaboussés. Mais s'agit-il d'une "croisade anti-corruption" comme l'assure le pouvoir, ou d'une purge politique comme accusent certains observateurs.

Le Venezuela est classé 177e sur 180 dans l'indice de perception de la corruption de Transparency International.

Qui dans le collimateur ?

Les premières arrestations, signalées le 19 mars, visaient des proches collaborateurs de Tareck El Aissami, ministre du Pétrole et considéré comme un homme clé du pouvoir jusqu'à ce que le scandale éclate.

Pour le moment, El Aissami, qui a démissionné, se fait discret et le procureur général Tarek William Saab a refusé de confirmer qu'il faisait l'objet d'une enquête.

L'un des inculpés, Antonio Perez, est vice-président du géant public pétrolier Petroleos de Venezuela (PDVSA).

Hugo Cabezas, un proche collaborateur de l'ancien président et figure tutélaire Hugo Chavez (1999-2013), figure également parmi les personnes arrêtées, tout comme le président de l'entreprise chargée de l'exploitation de minéraux tels que le fer, la bauxite, l'or et les diamants, Pedro Maldonado, et le directeur de l'entreprise publique Siderurgica del Orinoco (Sidor), Nestor Astudillo.

Tous ont été traduits devant le tribunal vêtus de combinaisons de prison orange. Mercredi, M. Saab a prévenu que "d'autres arrestations pourraient suivre".

Affaire politique ?

"C'est une purge politique. Et cela n'a rien d'extraordinaire", explique à l'AFP la politologue Ana Milagros Parra.

Selon elle, le pouvoir est dans "la nécessité d'éliminer ou d'écarter des personnes qui, d'une manière ou d'une autre, représentent une menace (pour le gouvernement) ou ne sont pas dans la ligne".

Le procureur Saab réfute toute interprétation politique : "Pour l'amour de Dieu, depuis quand la corruption, le détournement de fonds, sont-ils un fait politique ? Où est l'idéologie ? Le vol est-il une idéologie ?, interroge-t-il mercredi lors d'une en conférence de presse.

"Au sein du gouvernement, il y a des factions et ces factions s'affrontent", estime Benigno Alarcon, directeur du Centre d'études politiques de l'Université catholique Andrés Bello (UCAB). "Lorsque l'on voit une opportunité d'écarter un adversaire ou une faction, on la saisit car le pouvoir est un jeu à somme nulle!".

Selon M. Alarcon, El Aissami était en conflit avec le groupe dirigé par les puissants frères Delcy et Jorge Rodriguez, respectivement vice-président et président du Parlement du pays.

Pour Alberto Aranguibel, analyste proche du pouvoir dans un journal local, il est "courageux" de s'attaquer à la corruption.

Pourquoi le pétrole ?

Le parquet a indiqué que 34 des 51 personnes arrêtées étaient liées à l'industrie pétrolière, pilier de l'économie vénézuélienne. Le Venezuela dispose de réserves parmi les plus grandes du monde mais sa production a baissé sous le million de barils/jour après des années de mauvaise gestion. Le pays aspire à retrouver une production de plus de 3 millions.

Outre Antonio Perez, le vice-président de PDVSA, un des inculpés est Joselit Ramirez, un des gestionnaires de la crypto-monnaie vénézuélienne Petro - en théorie adossée au pétrole - devenue importante pour contourner les sanctions américaines. L'opacité des transactions en raison de l'embargo a sans doute facilité les détournements récents.

Mais l'industrie pétrolière vénézuélienne, qui génère des milliards de dollars depuis des décennies, a fait l'objet d'autres enquêtes et scandales.

M. Saab assure que son bureau avait enquêté sur 31 "schémas de corruption" dans l'industrie pétrolière depuis 2017 et que plus de 250 anciens fonctionnaires et opérateurs financiers ont été poursuivis.

Les enquêtes se sont soldées par l'arrestation de dizaines d'employés de PDVSA et de deux ex-ministres du pétrole, Eulogio del Pino et Nelson Martinez (décédé en détention).

Rafael Ramirez, l'un des hommes de confiance de Chavez, est accusé de corruption lorsqu'il était ministre du pétrole (2002-2014) et président de PDVSA (2004-2014). Il est en fuite en Italie et les autorités vénézuéliennes ont demandé son extradition sans succès.

"Quiconque s'en prend à moi devrait réfléchir un peu, juste un peu, à la raison pour laquelle Chavez m'a eu à ses côtés pendant 12 ans", a écrit, énigmatique, M. Ramirez.

Commentaires

JPVEROLLET

Il y a très peu d'exemples de société pétrolière nationalisée qui n'ait pas fait l 'objet de procès de dirigeants pour corruption. C'est évidemment systématique en pays "socialiste" comme le Venezuela mais cela arrive aussi en pays démocratique capitaliste. Quand certains parlent de la malédiction de l'or noir, le Venezuela ne montrerait-il pas qu'il s'agit plutôt de la malédiction du "socialisme"?

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