État du climat en 2024 : les voyants toujours au rouge malgré le ralentissement des émissions mondiales

Christian de Perthuis

Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL

Fondateur de la Chaire Économie du Climat

Malgré le ralentissement des émissions globales de gaz à effet de serre (GES), les voyants du climat restent dans le rouge, nous rappelle le rapport Indicators of Global Climate Change 2024 récemment publié. Ce rapport permet également d’identifier trois leviers d’action à mettre en œuvre pour stabiliser le stock atmosphérique de GES à l’origine du réchauffement global.

L’univers virtuel des réseaux sociaux est celui de l’immédiateté. Un utilisateur de TikTok y navigue en moyenne 95 minutes chaque jour, avec à la clé plusieurs centaines de clics. En politique, la vague populiste surfe sur ce courant d’informations en continu qui submerge notre quotidien.

Dans ces mondes virtuels, on prend les décisions en fonction des aléas du moment, quitte à revenir rapidement en arrière en cas de réactions inattendues. Une telle soumission aux humeurs du court terme n’est pas compatible avec l’action face au réchauffement planétaire et à la dégradation de la biodiversité.

Le premier antidote à la tyrannie de l’immédiat doit être la science. C’est pourquoi le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) joue un rôle si structurant en matière d’action climatique. Depuis 1990, le GIEC a publié six rapports d’évaluation. Ces rapports fournissent des balises précieuses, documentant l’état des connaissances scientifiques sur le système climatique, les impacts et les adaptations possibles face au réchauffement, les leviers d’atténuation pour le stabiliser.

Chiffres-clés du changement climatique en 2024. Indicators of Global Climate Change 2024, Fourni par l'auteur

Le temps de navigation entre deux balises tend cependant à augmenter. De cinq ans entre le premier et le second rapport du GIEC, il est passé à neuf ans entre les deux derniers rapports. Pour éviter que les décideurs ne se perdent en route, un collectif de chercheurs publie chaque année un tableau de bord annuel, reprenant les méthodologies utilisées par le GIEC. J’ai lu leur rapport sur l’année 2024, rendu public le 17 juin 2025. Voici ce que j’en ai retenu.

Les voyants au rouge, malgré le ralentissement des émissions

Le tableau de bord annuel actualise en premier lieu les informations sur les émissions de CO2 jusqu’en 2024 (et jusqu’en 2023 pour les autres GES). Sans surprise, cette actualisation confirme le ralentissement de l’augmentation des émissions mondiales observé depuis 15 ans, principalement provoqué par celles de CO2.

Ralentissement de la hausse des émissions sur les quinze dernières années.Fourni par l'auteur

Ce ralentissement est toutefois insuffisant pour stabiliser ou même freiner l’accumulation du stock de GES dans l’atmosphère. Le rythme de croissance de ce stock se maintient, et s’est même accéléré pour le méthane depuis le début des années 2020.

Or c’est ce stock qui est le moteur anthropique du réchauffement climatique. Il joue d’autant plus fortement que les rejets d’aérosols (principalement le dioxyde de soufre), à l’effet refroidissant à court terme pour la planète, se réduisent du fait du resserrement des contraintes sur les polluants locaux, en particulier dans le transport maritime international et en Chine.

De ce fait, le réchauffement ne connaît pas de répit. Il a franchi pour la première fois la ligne de +1,5 °C en 2024. Les facteurs anthropiques en ont expliqué 1,36 °C, le reste étant attribué à la variabilité naturelle du climat, en particulier l’épisode El Niño de 2024.

Sur les dix dernières années connues, le réchauffement global a atteint +1,24 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Sur l’océan, il dépasse désormais 1 °C. Sur Terre, il se situe à 1,79 °C, pratiquement à équidistance entre 1,5 et 2 °C.

Sans surprise, la poursuite du réchauffement alimente la montée du niveau de la mer, sous l’effet de la dilatation thermique de l’eau et de la fonte des glaces continentales. La hausse du niveau moyen de l’océan est estimée à 22,8 cm depuis le début du siècle dernier. Entre 2019 et 2024, elle a été de 4,3 mm/an, bien au-dessus de la tendance historique (1,8 mm/an).

Quels leviers d’action ?

Pour stabiliser le réchauffement, il faut en premier lieu drastiquement réduire les émissions de carbone fossile. Comme le notait déjà le Global Carbon Budget à l’automne 2024, le budget carbone résiduel pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à 2 °C ne représente plus que 28 années des émissions actuelles. Pour viser 1,5 °C, c’est désormais moins de cinq années !

Le tableau de bord montre également l’impact de la réduction des rejets d’aérosols, qui contribue significativement au réchauffement. Moins d’aérosols dans l’atmosphère, c’est certes moins de problèmes sanitaires à terre, mais aussi plus de réchauffement car les aérosols voilent le rayonnement solaire et agissent sur la formation des nuages. Or, comme les aérosols ne séjournent pas longtemps dans l’atmosphère, une réduction de leurs émissions se répercute rapidement sur le volume de leur stock dans l’atmosphère.

Que faire ? Pour contrarier cet impact, la meilleure voie est de réduire les émissions de méthane. Le méthane ayant une durée de séjour dans l’atmosphère plus courte que celle des autres gaz à effet de serre, sa réduction agit nettement plus rapidement sur le réchauffement qu’une réduction équivalente de CO2 ou de protoxyde d’azote, qui séjourne en moyenne 120 ans dans l’atmosphère.

Le tableau de bord met enfin en avant l’apparition de « rétroactions » climatiques dont les effets s’ajoutent à l’impact direct des émissions anthropiques sur la température. Ainsi, le réchauffement global stimule les émissions de méthane dans les zones humides tropicales et risque, demain, d’accentuer celles résultant de la fonte du permafrost. Conjugué aux épisodes de sécheresses, il accentue également les émissions générées par les mégafeux de forêt et altère la capacité de croissance des arbres et les rend plus vulnérables face aux ravageurs.

Dans les deux cas, ces rétroactions amplifient le réchauffement. Agir contre ces rétroactions, par exemple en adaptant les stratégies de gestion forestière, répond donc à une double logique d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.

Feux de forêt, carbonatation du ciment et gaz fluorés

Si le tableau de bord se fixe comme règle de correspondre au plus près aux méthodes des rapports d’évaluation du GIEC, il apporte également des compléments utiles. J’ai particulièrement apprécié ceux concernant les émissions provoquées par les mégafeux, les gaz fluorés et l’absorption du CO2 atmosphérique par le ciment.

Trois mesures des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES).Indicators of Global Climate Change 2024, Fourni par l'auteur

Dans la figure ci-dessus apparaissent trois façons de comptabiliser les émissions mondiales de GES.

  • À 55,4 milliards de tonnes (Gt) équivalent CO2, le premier bâtonnet visualise les émissions de l’année 2023 et la marge d’incertitude associée, calculées suivant les normes retenues par le GIEC.
  • L’agrégation des données d’inventaires nationaux recueillies sur le site des Nations unies donne des émissions de seulement 47,1 Gt pour la même année. L’écart entre les deux grandeurs est principalement lié à la façon de comptabiliser les émissions liées aux changements d’usage des terres, en particulier à la frontière retenue entre les émissions-absorptions d’origine anthropique et celles d’origine naturelle. Par exemple, le carbone stocké grâce à la replantation d’arbre est clairement d’origine anthropique, mais faut-il également comptabiliser celui résultant de la repousse naturelle d’arbre après des incendies ?
  • La figure du milieu est une innovation du tableau de bord, qui a élargi les sources et les absorptions de CO2 prises en compte, pour aboutir à un total d’émissions de 56,9 Gt d’équivalent CO2 (+ 1,5 Gt relativement à l’évaluation standard). La prise en compte de la séquestration du carbone par les ouvrages en ciment ( « carbonatation » du ciment) représente un puits de carbone de 0,8 Gt de CO2. Mais elle est plus que compensée par les émissions de méthane et de protoxyde d’azote par les feux de forêt et la combustion de biomasse (1 Gt d’équivalent-CO2) et celles provenant des CFC et autres gaz fluorés non couverts par la convention climat (UNFCCC), à hauteur de 1,3 Gt d’équivalent CO2 en 2023.

L’inertie des stocks de gaz à effet de serre

Sur la période récente, les émissions de gaz fluorés (F-gaz) répertoriées dans le cadre de l’UNFCC dépassent celles des gaz fluorés dont la régulation a été mise en place par le protocole de Montréal (1987) destiné à protéger la couche d’ozone. Mais cette situation est relativement récente. Quand la lutte pour la protection de la couche d’ozone a démarré, les émissions de CFC et des autres gaz fluorés détruisant cette couche exerçaient un réchauffement équivalent à pratiquement 12 Gt de CO2, soit la moitié des émissions de carbone fossile de l’époque (22 Gt d’équivalent CO2).

Évolution des émissions de gaz fluorés.Indicators of Global Climate Change 2024, Fourni par l'auteur

La diminution spectaculaire des émissions de gaz fluorés réalisée pour protéger la couche d’ozone a ainsi eu un impact majeur sur l’action climatique, malgré le développement de substituts à ces gaz – comme les HFC – pour couvrir les besoins de climatisation et réfrigération. Ce résultat s’observe aujourd’hui dans la diminution de la concentration atmosphérique des CFC, qui contribue à atténuer le réchauffement climatique.

Compte tenu de la durée de séjour des gaz CFC dans l’atmosphère, de l’ordre du demi-siècle, cet effet d’atténuation devrait se prolonger pendant quelques décennies. Une bonne illustration de l’inertie du stock par rapport au flux, qui joue désormais de façon bénéfique pour l’action climatique dans le cas des gaz fluorés.

À l’inverse, cette inertie joue encore à la hausse du thermomètre pour le CO2 et le méthane, malgré le ralentissement des émissions. D’où les voyants au rouge du tableau de bord. Demain, si on parvient à durablement inverser leur trajectoire d’émission, cette inertie pourra également jouer à sa baisse. Mais pour cela, il faut accélérer la transition bas carbone et ne pas succomber aux sirènes de ceux qui voudraient rétrograder.

Sources / Notes

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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Commentaire

Freudon Saké
Les populistes ! Tout est la faute aux populistes ! La comète sur la tête des dinosaures, c'étaient déjà les populistes ! Mâles ou mal blancs d'occident...
Alors, je n'aime pas les partis fascistes, parce que je déteste la bêtise, surtout chez ceux qui se pensent supérieurs par la grâce de leur dieu, mais, les populistes ne font qu'utiliser les outils que l'Internationale mondialiste met à leur disposition !!!
Et c'est bien la bêtise humaine qui consomme de la shit fashion transportée depuis le Sin Land, du tok tok et autres réseaux sociaux et des influenceurs qui vendent les daubes du premier.
Rendre addicts les masses pour les abuser, que ce soient à travers des outils numériques, des idéologies, des religions, etc, cela s'appelle comment ?
Par contre, dans cette pyramide de Ponzi, je ne vois jamais les frères, proches du Grand Architecte, dénoncer la surpopulation humaine responsable de la descente aux enfers planétaire.
On ne produit pas des génies dans des classes surpeuplées et encore moins quand les gamins ont peur d'aller à l'école...
Monde de sauvages où la partie reptilienne du cerveau prend le pas de l'oie en défilant devant la majorité de Poutine siégeant à l'ONU !
Le deuxième cerveau de l'être humain, c'est l'estomac...
Un tiers des émissions sont dus à l'alimentation, 44% par les bâtiments, 10% par le textile !
Donc, il serait bon en cette période d'urgence climatique absolue, que les gourous autoproclamés "sauveurs du climat", écrivent simplement des choses intelligentes parce que vraies, et cessent de promouvoir leur idéologie dans des textes subliminaux qui abusent le grand public.
Parce qu'effectivement, quand domine le mensonge, la malhonnêteté, et pire encore, la bêtise XXL de soi-disant grosses têtes bien pensantes, le climat est forcément très mauvais !
En fait, juste des influenceurs, qui vendent sur internet leurs daubes nucléaires, smart grid, lithium, cobalt, terres rares, etc, sans jamais rien solutionner au bout de 28 COP subventionnés...
La prochaine, C'est au Brésil, futur pays de l'OPEP et pote à Poutine...
Alléluia mes frères, bientôt l'Apocalypse, croyez aux saintes paroles et vous seraient assis à la droite de votre dieu !
jean-Loup Bertaux
Merci à de Perthuis pour son article factuel sur l'état des lieux 2024 en ce qui concerne le climat et les émissions de GES, fondé sur l'état de la science. La pensée de Freudon Saké n'est pas suffisamment organisée pour comprendre s'il accepte ou rejette cet article de de Perthuis. Il a cependant raison sur un point: la surpopulation a joué, et jouera, un rôle majeur dans le changement climatique. Diminuer la populaton est une mesure d'adaptation au changement climatique.
jean-Loup Bertaux
Le poète Baudelaire a écrit à propos de l’Albatros: Ses ailes de géants l’empêchent de marcher. Mais ça ne devrait pas l’empêcher de penser! Etes-vous capable de faire l’amour sans faire d’enfants, par la contraception? Oui, évidemment ! pas besoin de stérilisation. Dans tous les pays blancs et jaunes, le nombre d’enfants par femme est nettement inférieur à deux, ce qui entraine déjà une baisse de la population dans de nombreux pays, dont la Chine et le Japon. Reste l’Afrique, le Pakistan, l’Indonésie et quelques autres. Nous, pays développés, nous devons y aider financièrement toutes les femmes qui voudraient avoir accès à la contraception. Selon l’oganisation Guttmacher, cela ne coûterait que 6 milliards de dollars par an, et éviterait 21 millions de naissances non-désirées.Donc, des centaines de millions de tonnes de CO2 en moins émises chaque année. Que ne le fait-on pas?
Albatros
Merci pour cette réflexion. J'en suis parfaitement capable, y compris de détecter les YAKAFOKON. Il se trouve que la démographie mondiale devrait plafonner et s'établir au maximum avant de diminuer par le vieillissement (https://www.ined.fr). S'il faut évidemment tendre vers l'élimination des grossesses non-désirées là où c'est possible, notamment en améliorant la condition des femmes, la priorité reste d'assurer le bien-être (le meilleur-être dans la plupart des cas) de tous ces humains. Et ce n'est certainement pas avec les "solutions" décroissantistes que cela sera possible. Sincères salutations.
jean-Loup Bertaux
En ce qui concerne la décroissance, il faut distinguer la décroissance démographique, la décroissance du PIB total, et la décroissance du PIB par habitant. Je suis pour la décroissance démographique, et pour la croissance du PIB par habitant. Mais je ne suis pas contre la décroissance du PIB total. Moins nombreux, plus heureux !
Albatros
Monsieur De Perthuis devrait profiter d'une retraite bien méritée plutôt que de nous répéter inlassablement ses sermons que même Al Gore a cessé de psalmodier (il a fait vraiment fortune avec ça, lui, comme Jancovici et sa boutique de carbo-consulting).

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