
Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
La comptabilisation des émissions de méthane pose de nombreuses questions méthodologiques que nous avons examinées avec Sophie Szopa (LSCE- auteure du GIEC) et Christian Couturier (Solagro) dans un article repris par la revue La Météorologie. À l’occasion du colloque Nouveaux regards sur l’élevage ruminant, des prairies aux assiettes, programmé le 14 mai, nous en republions ici l’introduction et la conclusion. Elles soulignent l’importance de maintenir et d’améliorer les méthodes en vigueur de comptabilisation des émissions pour correctement évaluer les impacts climatiques des élevages de ruminants et les bénéfices qu’apporte chaque réduction de leurs émissions de méthane.
Depuis le début des années 2020, l’accroissement du stock atmosphérique de méthane s’accélère
Introduction : faut-il changer la méthode de comptabilisation du méthane ?
On ne peut pas additionner des choux et des carottes, avons-nous appris à l’école élémentaire. De même, on ne peut pas additionner les tonnes de CO2 et les tonnes de méthane, les deux principaux gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère par l’activité humaine. Si on veut mesurer leur contribution respective au réchauffement global, on doit les convertir dans une unité commune.
La méthode standard, adoptée par la convention cadre de 1992 sur le climat, consiste à utiliser le « pouvoir de réchauffement global » sur 100 ans (PRG100) calculé et publié dans les rapports d’évaluation du Giec. À la suite de l’adoption de l’Accord de Paris, la COP (Conference of the Parties) de Katowice a précisé en 2018 que cette métrique standard doit être utilisée pour confectionner les inventaires d’émission de gaz à effet de serre permettant d’établir et de rendre compte des objectifs d’atténuation de chaque pays.
Au-delà de la confection des inventaires, la métrique du PRG est utilisée de multiples façons dans l’action climatique. Elle est à la base des calculs d’empreintes carbone mesurant l’impact climatique des différents biens et services. Elle permet également de mettre au point des instruments tarifaires pour donner une valeur économique aux dommages climatiques provoqués par les émissions de méthane.
Comme toute convention comptable, cette méthode simplifie une réalité bien plus complexe ainsi que le montrent les rapports successifs du Giec ayant examiné la question. Dans ce contexte, certains acteurs se sont exprimés en faveur de l’utilisation de métriques alternatives pour mieux tenir compte des spécificités du méthane dans sa contribution au réchauffement du climat. Sur la période récente, une proposition a été portée par certains émetteurs historiques de méthane, notamment dans le secteur de l’élevage des ruminants : celle d’appliquer le PRG du méthane, non plus au montant absolu de ses émissions, mais à leur variation en utilisant un indicateur dénommé PRG*. D’après ces émetteurs, l’urgence de la baisse des émissions de méthane, de loin le second contributeur au réchauffement après le CO2, serait relativisée sitôt que le volume des émissions de méthane est en diminution.
Cet article examine les principales méthodes mentionnées dans les travaux du Giec pour calculer les équivalences climatiques du méthane et du CO2 . Il montre que la méthode du PRG* peut être un outil de simulation utile, mais en aucun cas un instrument de comptabilisation des émissions. Il préconise en conséquence de maintenir la métrique actuelle du PRG100 tout en l’améliorant à mesure des progrès des connaissances scientifiques.
Source : La Météorologie – n° 126 – août 2024
Conclusion : améliorer la métrique actuelle pour accélérer l’action
Du fait de la courte durée de séjour du méthane dans l’atmosphère et de son intensité radiative élevée, il n’est pas possible d’avoir une équivalence climatique totale entre méthane et CO2. Comme le soulignent les travaux de recherche s’étant penchés sur la question, il n’y a pas de solution idéale pour opérer cette conversion des deux gaz en unité commune.
Une voie pour faire face à cette difficulté serait d’utiliser plusieurs métriques, par exemple suivant les horizons temporels visés ou l’historique des émissions passées. Si la pluralité des indicateurs est nécessaire pour la compréhension des mécanismes physiques, elle ne répond pas aux besoins de l’action climatique qui exige d’aligner les engagements des États et les comportements des acteurs grâce à une métrique unique. Comme dans l’économie des flux monétaires, la coexistence de deux métriques ou de deux monnaies serait très contre-productive.
Le meilleur des compromis possibles nous semble être de conserver la métrique traditionnelle du PRG100 permettant d’aligner les stratégies d’atténuation des acteurs, tout en l’améliorant au gré des progrès de la connaissance scientifique. Sous cet angle, un apport utile sera d’intégrer les résultats du 6e rapport d’évaluation du Giec qui distingue le PRG du méthane d’origine biogénique de celui rejeté par l’industrie des énergies fossiles. Cette distinction permet de mieux positionner le secteur agricole, premier émetteur de méthane, dans les stratégies d’atténuation. De par son caractère biogénique, les émissions de ce secteur devraient être comptabilisées avec un PRG100 légèrement plus faible que celui utilisé pour l’industrie des fossiles. Par ailleurs, les scénarios de stabilisation de la température à terme sont compatibles avec le maintien d’émissions résiduelles d’origine agricole à un niveau nettement plus bas que celles de la période récente. En revanche, l’utilisation du PRG* pour suggérer l’existence d’une neutralité atteinte sitôt que les rejets de méthane se stabilisent n’a pas de justification sérieuse au plan scientifique.
Pour renforcer l’action d’atténuation, il conviendrait également d’améliorer la qualité et la fiabilité des inventaires nationaux de gaz à effet de serre qui constituent l’infrastructure sur laquelle reposent l’établissement et le suivi des politiques d’atténuation. Pour les rejets de méthane d’origine fossile, les progrès de l’imagerie satellitaire suggèrent que les inventaires nationaux sont fortement sous-estimés. Les émissions de méthane provenant de l’agriculture et de la gestion des déchets sont dans de nombreux pays calculés à partir de coefficients forfaitaires (méthodologie dite « Tier 1 ») qui simplifient la réalité. Pour mieux guider les actions de réduction, il conviendrait d’encourager la mise en œuvre de méthodes de calcul plus fines, documentées dans les guides méthodologiques du Giec, mais encore trop rarement utilisées car demandant plus de moyens.
Autre voie prometteuse : la confection de budgets méthane associés aux budgets carbone calculés par le Giec qui sont devenus des outils largement utilisés pour orienter l’action climatique. Le calcul des budgets méthane pose cependant de grandes difficultés méthodologiques du fait de la difficulté à caractériser les flux d’émission naturels et anthropiques. Ainsi, sur la période récente, l’augmentation rapide du stock atmosphérique de méthane ne s’explique pas par les émissions anthropiques calculées dans les inventaires.
La comptabilisation du méthane regroupe le calcul de ses émissions et la métrique utilisée pour le convertir en équivalents CO2. Pour l’améliorer, l’urgence n’est pas de changer le thermomètre existant, mais de continuer à le perfectionner en fonction de l’évolution des connaissances.
Sources / Notes
Cet article a été publié par Christian de Perthuis sur son site personnel accessible ici.
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