
Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
À l’heure où une partie de l’Hémicycle promeut un moratoire sur les énergies éolienne et solaire, le Citepa vient de publier son rapport sur les émissions de gaz à effet de serre en 2024. La baisse de 1,8% des émissions estimée en mars dernier à partir des données trimestrielles est confirmée. Cette baisse nous maintient sur une trajectoire qui ne permettra pas d’atteindre nos objectifs climatiques en 2030. Il est donc urgent d’accélérer la transition énergétique plutôt que de rétrograder.
Dans sa dernière note de conjoncture, l’Insee a parallèlement donné une première projection des émissions pour 2025. Ces émissions baisseraient à peine plus rapidement qu’en 2024, malgré la morosité de l’activité industrielle. Cela serait loin de nous remettre sur la bonne trajectoire.
2024 : qui a réduit quoi ?
En 2024, deux circonstances ont été favorables à la baisse des émissions. La meilleure utilisation du parc nucléaire et le remplissage des barrages fournissant l’hydroélectricité, à l’origine de la baisse de 3,8 Mt de CO2eq du secteur de l’énergie ; la clémence des températures qui a réduit les besoins de chauffage.
Pourtant, le rythme de baisse des émissions s’est nettement ralenti relativement à 2023 (-1,8% après -5,8%), pour trois raisons principales :
- la résistance des émissions du secteur du transport, même si on exclut les transports internationaux qui sont dopés par la reprise des trafics aériens ;
- la demande trop rapide d’énergie fossile, favorisée en 2024 par la modération de leur prix et la faiblesse des incitations à la sobriété qui peine à trouver ses modèles économiques ;
- les délais de mise en route du programme de décarbonation de l’industrie qui se traduisent par une reprise des émissions sitôt que la production d’un secteur augmente (cas de la production des métaux non ferreux en 2024).
Comme les gisements de réduction d’émissions les plus faciles à atteindre ont déjà été utilisés, il est à craindre que le résultat décevant de 2024 ne se prolonge en l’absence d’une accélération des politiques de décarbonation.
Source des données : CITEPA
Une première projection pour 2025
À partir des informations connues sur le début de l’année 2025 et de ses prévisions d’activité pour 2025, l’INSEE propose une première projection des émissions pour 2025. D’après l’institut, les émissions des ménages se situeraient en 2025 au même niveau qu’en 2024. En revanche, les émissions de l’industrie manufacturière baisseraient un peu plus rapidement qu’en 2024 du fait de la morosité de la conjoncture. Au total, la baisse des émissions de l’ordre de 5 Mt d’équivalent CO2 en 2025, serait loin des 15 Mt requis pour respecter nos objectifs climatiques établis dans le cadre européen.
Source du graphique : INSEE, Note de conjoncture juin 2025
Moratoire sur le solaire et l’éolien : accélérer ou rétrograder ?
Depuis 2005, nos émissions brutes (hors impact des puits de carbone) suivent une tendance baissière de 2% l’an (soit -9 Mt par an). La poursuite de cette tendance nous dirige vers des émissions de 320-330 Mt de CO2eq en 2030, alors qu’il faut viser 270 Mt pour respecter nos engagements climatiques. Pour atteindre cet objectif, il faudrait porter le rythme annuel de baisse à 5 % sur les six années qui nous séparent de 2030.
Source des données : CITEPA
Cela implique de sortir une feuille de route qui pose clairement trois jalons pour la construction du système énergétique bas carbone de demain :
- une indispensable sobriété dans les usages qui ne peut résulter d’incantations épisodiques appelant à des gestes citoyens dans les situations de crises mais exige des incitations ciblées et la construction de nouveaux modèles économiques de la sobriété ;
- l’accélération du retrait des énergies fossiles (le « désinvestissement ») qui passe par l’électrification rapide des usages dans les transports, l’industrie et le chauffage des bâtiments ;
- le renforcement du déploiement des énergies utilisant les flux solaires et éoliens qui sont les seules à pouvoir fournir en abondance l’électricité décarbonée dont le pays aura besoin d’ici 2040, et ceci quelle que soit la place du nucléaire qu’on souhaite atteindre dans le mix énergétique post-2040.
Face à la hauteur de la marche d’escalier à franchir, une partie de la classe politique a entonné une dangereuse musique en faveur d’un assouplissement des objectifs de la transition énergétique. Dans ce contexte, le moratoire sur le solaire et l’éolien voté au Parlement aurait un coût climatique élevé. Il irait également à contresens des objectifs de souveraineté énergétique. La quasi-totalité de l’énergie fossile que nous utilisons étant importée, substituer du solaire et de l’éolien au pétrole et au gaz est aussi un facteur de souveraineté.
Sources / Notes
Cette tribune a été publiée sur le site personnel de Christian de Perthuis et par Le Nouvel Obs.
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