- Connaissance des Énergies avec AFP
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Malgré la menace jihadiste, ils se pensaient en sécurité, protégés par le géant pétrolier Total pour lequel ils travaillaient comme sous-traitants. Aujourd'hui, plus de deux ans après la terrible attaque de Palma au Mozambique, qui a fait des centaines de morts en mars 2021, ils sont venus réclamer des comptes.
Quatre des sept personnes ayant porté plainte contre TotalEnergies pour homicide volontaire et non assistance à personne en danger sont venus témoigner mardi lors d'une conférence de presse à Paris.
Leurs récits ont également remis en lumière une des pires attaques jihadistes de ces dernières années, qui n'a jamais eu de bilan officiel, le gouvernement mozambicain ayant évoqué quelques dizaines de victimes civiles.
En réalité, le nombre de morts s'établirait à 1.402 personnes -dont plus de 150 enfants-, tuées dans des conditions atroces, disparues ou kidnappées, selon un minutieux travail d'enquête réalisé par un journaliste indépendant, Alex Perry.
Parmi les victimes figurent 55 sous-traitants expatriés travaillant pour Mozambique LNG, gigantesque projet gazier de 20 milliards de dollars mené par Total sur la péninsule d'Afungi, à une dizaine de km de Palma.
"Nous pensons que nous étions en sécurité", répète comme un leitmotiv Nicholas Alexander, Sud-Africain de 53 ans, rescapé. Des attaques jihadistes terrorisent cette région septentrionale de Cabo Delgado depuis 2017, "mais ça se passait à 70-80 km, et comme Total avait instauré un périmètre de 25 km autour de son site, nous nous sentions rassurés", poursuit-il. Les sous-traitants sont alors logés dans la ville de Palma.
"Nous pensions que nous serions prévenus en cas d'attaque", dit ce colosse au crâne chauve et aux yeux bleus, directeur d'une entreprise de construction.
Mais "nous n'avons pas reçu de notification. Le jour de l'attaque et ceux qui ont suivi, nos appels (à Total) n'ont jamais reçu de réponse".
L'ampleur de l'attaque, lancée le 24 mars à coup de fusils d'assaut, de roquettes, de mitrailleuses lourdes, pousse près de 200 personnes, expatriés et locaux, à se réfugier à l'hôtel Amarula, à la sortie de la ville.
Ils y sont assiégés pendant trois jours par les jihadistes. De petits groupes réussissent à être évacués par DAG, une société militaire privée disposant d'hélicoptères. Mais faute de carburant, DAG cesse ses évacuations.
Les plaignants reprochent à Total d'avoir refusé de fournir du carburant. Le groupe pétrolier, qui rejette toute responsabilité globale, a répliqué mardi sur son site que DAG était soupçonné par les ONG d'exactions graves contre les civils.
- "Je suis veuve" -
Le 26 mars, quelque 150 personnes décident de tenter le tout pour le tout et quittent l'Amarula dans un convoi de 17 voitures. Ils tombent dans une embuscade des jihadistes et au moins sept personnes sont tuées.
Nicholas Alexander en réchappera. Pas Adrian Nel, un Sud-Africain père de trois enfants.
"Mon nom est Janik Armstrong. Je suis veuve. J'étais en couple avec Adrian Nel pendant 21 ans jusqu'à sa mort dans l'une des pires attaques terroristes de l'histoire". La Canadienne de 42 ans se présente en français, d'une voix ferme. Puis elle passe à l'anglais, "par respect pour la famille de son époux".
Elle parle de son mari, rencontré à Londres alors qu'ils avaient 18 et 19 ans, de son caractère de "cow boy" et de sa passion pour la plongée. A Palma, un "paradis de l'Océan indien" la crise sanitaire du Covid a eu raison de son club de plongée et il est devenu sous-traitant pour Total. "Ce n'était pas un plan parfait", mais il voulait assurer l'avenir de sa famille, dit Janik.
Adrian faisait partie des réfugiés de l'Amarula. "Ils ont attendu pendant deux jours des secours qui ne sont jamais venus", raconte sa veuve. Adrian, touché par balle pendant la fuite du convoi, succombera dans les bras de son beau-père.
"Si je suis ici, c'est parce que des promesses de protection et d'aide n'ont pas été tenues", explique Janik, disant vouloir aussi donner une voix à toutes les victimes mozambicaines oubliées de cette tragédie.
"Je veux savoir pourquoi Total a choisi de tourner le dos à ces gens alors qu'il avait les moyens de les aider", ajoute, la voix brisée, Mark Mawer, frère de Philip Mawer, tué dans l'embuscade. "Je veux que leur histoire soit racontée, qu'on se souvienne d'eux".