
Directeur des marchés et de l’innovation, Voltalis
Devenue indispensable à la stabilité de nos réseaux électriques, la flexibilité s’impose peu à peu comme le nouvel or noir - or vert plutôt - de l’énergie décarbonée. Le récent blackout massif en Espagne et au Portugal, visiblement dû à un phénomène de « surtension », semble pointer le manque de résilience du réseau ayant abouti à un événement aussi brutal, soudain que dangereux. L’enjeu est donc d’aller chercher les gisements de flexibilité disponibles pour le réseau électrique.
Le projet de Programmation Pluriannuelle de l’Énergie, qui fixe la feuille de route de la transition énergétique et de l’électrification des usages, semble mettre au même niveau toutes les ressources de flexibilité. Or, les chiffres et les projections de RTE montrent tout autre chose. Éclairages.
Le chauffage résidentiel et tertiaire : un potentiel total estimé à 12 GW de capacités de flexibilité pour le réseau à horizon 2033
Dans le secteur résidentiel, la part des logements chauffés à l’électricité pourrait passer de 40% en 2019 à environ 55% à horizon 2033(1). En l’appliquant à la projection de 31 millions de logements en 2033(2), cela signifie un parc de 17 millions de logements chauffés à l’électricité.
En considérant une puissance moyenne de chauffage électrique de 1,5 kW/logement en période hivernale froide, le chauffage électrique résidentiel représente un gisement exploitable total de l’ordre de 26 GW. En faisant l’hypothèse d’un taux d’équipement des logements d’une solution d’effacement de 40%, il est obtenu une cible atteignable de 10 GW pour le secteur résidentiel sur l’usage du chauffage(3).
Dans le secteur tertiaire, la part des surfaces tertiaires chauffées à l’électricité pourrait passer de 30% en 2019 à environ 48% à horizon 2033(4). En l’appliquant à une projection d’une surface de 1 milliard de m2 environ en 2033, on peut estimer que 487 millions de m2 seront chauffés à l’électricité dans le secteur tertiaire(5).
En considérant une puissance moyenne de chauffage passant de 0,011 à 0,007 GW/million de m2 en période hivernale sous l’effet de l’efficacité énergétique entre 2030 et 2040, cela représente un gisement total entre 3 et 5 GW. En faisant l’hypothèse réaliste que 40% de la surface sera équipée de solutions d’effacement, cela représente une cible atteignable de 1,4 à 2 GW pour l’usage chauffage dans le secteur tertiaire à horizon 2033(6).

En comparaison, le potentiel de flexibilité lié à la recharge des véhicules électriques pourrait être de 3 à 4 GW, guère plus !
D’après RTE, le nombre de véhicules électriques légers passera de 0,3 million en 2019 à une fourchette entre 11,7 et 15,6 millions à horizon 2035 selon les scénarii(7). Utilisés pour des trajets quotidiens domicile-travail, les véhicules électriques légers se rechargent pour l’essentiel dans les bâtiments (domicile, bureaux).
Le pilotage intelligent de la recharge représente un véritable enjeu pour soulager la pointe du soir et pour flexibiliser la consommation à l’échelle d’une journée ou d’une semaine de manière à optimiser l’utilisation de la production renouvelable. Le potentiel de celui-ci est évalué à 7-8 GW à horizon 2035 selon RTE(8). Dans le scénario Opéra de RTE où la flexibilité de la recharge est développée à un niveau élevé d'ici à 2035 mais pas généralisée, cela représente un potentiel de réduction de la pointe hivernale de 5 GW environ(9). Ainsi, en considérant que la recharge des véhicules électriques ne sera pas pilotée en totalité, il peut être visé une contribution de 3 à 4 GW à horizon 2033.
Les ordres de grandeur parlent d’eux-mêmes : la flexibilité tient sa source à près de 80% du chauffage électrique, contre 20% pour les véhicules électriques.
En cumulant les cibles atteignables sur les deux types d’usages étudiés, le potentiel de flexibilité par le pilotage de la demande dans les bâtiments peut se situer dans une fourchette de 14 à 16 GW à horizon 2033, en retenant une moyenne de 15 GW.
Ainsi, le vrai gisement de flexibilité électrique, la vraie source de stabilité et de sécurité pour permettre aux réseaux d’affronter les pics de consommation, c’est donc le pilotage du chauffage, en équipant facilement et à moindre frais les radiateurs de thermostats intelligents. Actuellement, moins de 5% du parc de chauffage électrique est équipé de solution de pilotage. Il est donc urgent d’accélérer l’équipement des bâtiments afin de sécuriser et stabiliser les réseaux électriques.
Si l’électrification de nos mobilités doit demeurer une priorité, elle ne doit pas pour autant servir de prétexte à sous-estimer les vrais gisements de flexibilité, tels que le chauffage électrique. La prochaine Programmation Pluriannuelle de l’Energie ne doit pas se tromper de cible !
Sources / Notes
- La trajectoire de référence du rapport de RTE sur « les futurs énergétiques 2050 » prévoit une part de 50-60% entre 2030 – 2040 ; d’où la prise de la moyenne à 55% pour avoir une valeur à horizon de la PPE.
- Dans la trajectoire de référence de consommation des futures énergétiques 2050, RTE inscrit l’augmentation du parc de logements résidentiels de 29 millions en 2019 à 34 millions en 2050, soit un rythme de croissance de 200 000 logements/an ; d’où la déduction qu’il y aura environ 31 millions de logements résidentiels à l’échéance de la PPE 3 en 2033.
- 8,5 GW = 33% x 17 millions de logements x 1,5 kW/logement ; 11 GW = 33% x 17 millions de logements x 2 kW/logement.
- Dans la trajectoire de référence de consommation des futurs énergétiques 2050, RTE prévoit que la part des surfaces tertiaires chauffées à l’électricité sera de 40% en 2030 et 55% entre 2040 ; d’où la prise en compte de la moyenne à 48% pour avoir une valeur à horizon de la PPE3.
- Dans la trajectoire de référence de consommation des futurs énergétiques 2050, RTE prévoit que les surfaces tertiaires passent de 998 millions de m2 en 2019 à 1 064 millions de m2 en 2050, soit une croissance de 2 millions de m2/an ; d’où la déduction les surfaces tertiaires représenteraient, 1 020 millions m2 à horizon 2030, 1 026 millions de m2 à horizon 2033, et 1 040 millions de m2 à horizon 2040.
- 2 GW = 40% * 487 millions m2 x 0,011 GW/million m2 en 2030 et 1,4 GW = 40% x 487 million m2 x 0,007 GW/millions m2 en 2040.
- Rapport de RTE : Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique, mai 2019.
- Dans le scénario Crescendo (variante médiane), RTE prévoit que « dans l’hypothèse théorique où le développement du vehicle-to-grid serait généralisé, ceci apporterait des marges supplémentaires très importantes (de l’ordre de 7 GW supplémentaires par rapport à un pilotage tarifaire simple) en 2035 ». Section 4.6 : le rapport de RTE : « Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique ». « Le pilotage de la recharge des véhicules électriques, qui est susceptible d’offrir jusqu’à 8 GW de flexibilité supplémentaires à condition d’être généralisé massivement » à horizon 2035 sur la base de 15,6 millions de VE d’après la Figure 4.27 du rapport ADEME et RTE « Réduction des émissions de CO2, impact sur le système électrique : quelle contribution du chauffage dans les bâtiments à l’horizon 2035 ? », décembre 2020.
- Scénario Opéra : le pilotage de la recharge est fortement développé : 80% des recharges sont pilotées et une partie significative des véhicules (20%) rend des services au système électrique en utilisant la batterie pour injecter de l’énergie sur le réseau (vehicle-to-grid) », Rapport de RTE mai 2019, Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique.